Article sur Arduino Day dans le Monde

L’ingénierie génétique, un enjeu
éthique Les outils de manipulation
de l’ADN vont non seulement
permettre de modifier l’individu,
mais aussi la lignée humaine. PA G E 2
La parole aux patients Claire
Compagnon, figure majeure de la
défense des droits des malades, vient
d’être nommée à l’Inspection générale
des affaires sociales. Portrait. PA G E 7
Arduino, le cerveau des objets
En dix ans d’existence, ce petit
microcontrôleur électronique a
conquis le cœur des bidouilleurs.
Mais ses pères se déchirent. PA G E 3
Bêteschercheuses
Lazoologie esten pleinerévolutionnumérique. Descapteurs denouvellegénération,souventdérivésdeceuxquiéquipentsmartphonesettablettes,
révèlentlescomportementsdes animauxdansleurmilieunaturel. Lesdonnéesrecueilliesserévèlentaussiutilesàd’autres disciplines.
PAGES 4-5
Aux îles Kerguélen, des scientifiques installent une balise Argos munie de capteurs sur cette femelle éléphant de mer.
CHRISTOPHE GUINET/CNRS PHOTOTHÈQUE/CEBC
L’effet placebo, ou l’art d’y croire
L’
carte blanche
Angela Sirigu
Neuroscientifique,
directrice de recherche
Centre de neuroscience
cognitive
(CNRS­université Lyon­I)
(PHOTO: MARC CHAUMEIL)
effet placebo consiste à induire une attente
positive dont on sait aujourd’hui qu’elle mo­
difie notre état physiologique et entraîne de
réels bénéfices pour la santé. Les médecins
connaissent depuis longtemps cet effet et l’utilisent,
non sans parfois susciter des questionnements éthi­
ques: faut­il tromper le patient pour le guérir?
Peut­on sciemment prescrire et faire passer pour mé­
dicament un produit totalement inerte?
Au plan pratique, l’effet placebo constitue la bête
noire des firmes pharmaceutiques, car lors d’un essai
clinique, souvent très coûteux et démarrant après
une phase de développement également coûteuse,
l’enjeu n’est pas tant de déterminer si un médicament
marche que de savoir combien il sera supérieur à un
simple comprimé d’amidon ! Par exemple, on estime
qu’un quart des effets thérapeutiques des antidépres­
seurs est attribué à la rémission spontanée, un autre
quart au principe actif, et le reste, c’est­à­dire la moi­
tié des bénéfices, résulte de l’effet placebo.
Mais comment agit un placebo et y sommes­nous
tous également sensibles ? Les études qui illustrent le
Cahier du « Monde » No 21830 daté Mercredi 25 mars 2015 ­ Ne peut être vendu séparément
mieux l’action du placebo sont celles qui démontrent
son pouvoir antalgique, mais selon Ted Kaptchuk, de
l’université Harvard (Massachusetts), le placebo est
aussi un véritable atout dans le traitement de bon
nombre d’affections neurologiques ou psychiatri­
ques.
On sait que l’effet placebo est lié à l’activation des
récepteurs aux opiacés endogènes, qui ont des pro­
priétés analgésiques et procurent des sensations de
bien­être. La libération de dopamine cérébrale, cette
substance liée à la récompense et à l’anticipation du
plaisir, serait l’autre clé pour comprendre l’influence
du placebo. L’action de ces deux neuromodulateurs
se traduit par une amélioration de l’humeur et de la
confiance, créant ainsi un terrain favorable au proces­
sus de guérison.
Croire c’est pouvoir, mais la force de cette confiance
dans une amélioration future dépend de la personna­
lité de l’individu et, dans une certaine mesure, de son
bagage génétique. Une personnalité motivée, rési­
liente, dotée d’une bonne estime de soi et recher­
chant la nouveauté serait particulièrement suscepti­
ble de répondre au placebo. Cet effet semble
également plus fort chez les individus présentant une
variante particulière du gène codant pour la fabrica­
tion de l’enzyme catechol­O­methyltransferase
(COMT). Chez les individus concernés, la dégradation
de la dopamine par cette enzyme est plus lente, pro­
longeant ainsi son action.
En utilisant la tomographie à émission de positrons,
une technique d’imagerie moléculaire, le groupe de
Jon­Kar Zubieta de l’université du Michigan a
d’ailleurs montré que chez les sujets sensibles à l’effet
placebo, il existe une forte corrélation entre la ré­
ponse du noyau accumbens (une structure cérébrale)
à une récompense monétaire – une méthode indi­
recte permettant de révéler l’activité dopaminergique
–, et la quantité de dopamine effectivement libérée
pendant un test de sensibilité à la douleur après ad­
ministration d’un placebo. D’autres mécanismes res­
tent encore à mettre au jour, mais peut­être pouvons­
nous déjà avancer l’hypothèse d’une piste chimique
suivie, depuis un siècle et demi, par les pèlerins de
Lourdes, sur les pas de Bernadette Soubirou. p
2|
0123
Mercredi 25 mars 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
AC T UA L I T É
Lesvertigesdugénome humainreforgé
| Alors que certains laboratoires semblentprêtsà modifier l’ADN denos cellules sexuelles, des chercheurs
américainsréclament un moratoire sur ces pratiques –facilitées par unpuissant outil de chirurgie des gènes
génétique
C’
florence rosier
est une histoire qui se répète,
à quarante ans d’écart. Une
histoire d’éthique et de géné­
tique, qui réactive un scéna­
rio où l’homme s’érigerait en
démiurge. Il y a quarante ans,
c’était encore de la science­fiction. Mais, depuis
trois ans, un puissant outil de «chirurgie des
génomes » ouvre de vertigineuses perspecti­
ves: oserons­nous, demain, refaçonner notre
propre hérédité ?
Malgré son nom barbare – CRISPR­Cas9 –, ce
«kit de construction» de l’ADN rencontre un
succès planétaire. «C’est un fantastique outil de
recherche qui améliore nos connaissances sur les
maladies humaines», relève le professeur Alain
Fischer, qui dirige l’institut Imagine spécialisé
dans les maladies génétiques, à l’hôpital Necker
(Paris). Mais son dévoiement pourrait ressusci­
ter les spectres de l’eugénisme et du transhuma­
nisme. Aux Etats­Unis, au Royaume­Uni ou en
Chine, certaines équipes auraient déjà franchi le
Rubicon en s’attaquant à ce défi: modifier le gé­
nome de nos propres cellules « germinales » –
nos cellules sexuelles, spermatozoïdes ou ovu­
les. Ces pratiques ont été révélées le 5 mars par le
journal du Massachusetts Institute of Techno­
logy (MIT). Signée par Antonio Regalado, une
enquête au titre provocateur, « L’ingénierie du
bébé parfait », a fait l’effet d’une mini­bombe.
En réaction, des chercheurs américains ont
publié, les 12 et 19 mars, deux mises en garde
dans les revues Nature et Science. La première
évoque la nécessité d’un « moratoire volon­
taire» des chercheurs du domaine, avec ce titre:
«Ne modifions pas le génome des cellules ger­
« Ce n’est pas parce que
quelques hurluberlus jouent
aux apprentis sorciers
qu’il faut jeter l’opprobre
sur cet outil révolutionnaire
qu’est CRISPR­Cas9 »
alain fischer
professeur au Collège de France
minales humaines ». « Il faut suivre une voie
prudente avant de manipuler le génome des
cellules germinales», ont renchéri les dix­huit
auteurs de l’article de Science. Ses deux pre­
miers signataires sont les Prix Nobel David Bal­
timore et Paul Berg.
Si l’histoire se répète, c’est que ces alertes font
écho à la mémorable conférence d’Asilomar, or­
Image de synthèse présentant le complexe CRISPR­Cas9, nouvel instrument d’ingénierie génétique.
FENG ZHANG/MCGOVERN INSTITUTE FOR BRAIN RESEARCH
ganisée en 1975 par ce même Paul Berg. A l’ère
des balbutiements du génie génétique, il s’agis­
sait déjà de réfléchir à ses risques.
En juin 2014, la Française Emmanuelle Char­
pentier, co­inventrice de l’outil CRISPR­Cas9,
déclarait dans nos colonnes: «Cette technique
fonctionne si bien et rencontre un tel succès qu’il
serait important d’évaluer les aspects éthiques
de son utilisation.» (Le Monde du 11 juin 2014.)
«Je souscris entièrement aux alertes actuelles»,
assure Alain Fischer, professeur au Collège de
France. S’il s’agissait de modifier le génome d’un
enfant à naître, dit­il, on ne pourrait pas lui de­
mander son consentement éclairé – encore
moins celui de ses descendants. Ce serait con­
traire aux droits fondamentaux des patients. «Je
pense qu’il ne faut pas le faire, ni aujourd’hui ni
demain. Ce serait une grave rupture éthique.»
Ce débat est très nord­américain, relève­t­il.
En France et dans de nombreux pays d’Europe,
manipuler le génome des cellules germinales
humaines est formellement interdit dans le ca­
dre de la procréation médicalement assistée.
«Et nous ne sommes pas près de nous engager
là­dedans ! Il est vrai qu’aux Etats­Unis la régle­
mentation est plus floue : on assiste à des choses
un peu délirantes.»
Un des exemples révélés par le journal du
MIT: Luhan Yang, une jeune postdoctorante qui
travaille dans le laboratoire de George Church,
chercheur renommé de l’université Harvard
(Massachusetts), confie au journaliste son éton­
nant projet. Il s’agirait d’obtenir les ovaires
d’une femme opérée pour un cancer. Puis d’en
extraire les ovocytes (cellules germinales femel­
les) immatures. Ensuite, de les multiplier in
vitro, puis d’utiliser CRISPR­Cas9 pour corriger
la mutation du gène BRCA1 responsable de ce
cancer. Quelques jours plus tard, cependant,
George Church qualifie ce canevas de «non­pro­
jet». Parce qu’il est annulé ? Poursuivi en toute
discrétion ? En attente de publication ?
A l’évidence, George Church manie l’art de
l’esquive, mais aussi celui de la provocation. A
des réunions de groupes transhumanistes, il
explique le potentiel de CRISPR­Cas9 contre les
maladies cardiaques ou celle d’Alzheimer. Il a
aussi évoqué la possibilité de cloner l’homme
de Néandertal, dont le génome est connu. Mais
il figure parmi les cosignataires de l’article dans
«L’homme s’autorisera­t­il à toucher à son hérédité?»
P
hilippe Kourilsky, profes­
seur honoraire au Collège
de France, a participé il y a
quarante ans à la conférence
d’Asilomar, qui avait proposé un
moratoire sur certaines techni­
ques de génie génétique.
En 1975, vous assistiez à la
conférence d’Asilomar (Cali­
fornie). Quel était le contexte ?
Une étudiante du laboratoire
de Paul Berg, en Californie,
avait fabriqué un plasmide [une
molécule d’ADN] contenant un
gène d’un virus, SV40, qui peut
provoquer des cancers. Au mo­
ment d’injecter ce plasmide
dans une bactérie, elle a sus­
pendu son geste : «Et si je dissé­
minais le cancer ?» De là est né
Asilomar. Paul Berg [futur No­
bel de Chimie] a décidé de re­
noncer à cette expérience. Le
comité qu’il animait, à l’Acadé­
mie des sciences américaine, a
réclamé un moratoire sur les
expériences de génie généti­
que: une démarche d’autocen­
sure scientifique jusqu’alors
inédite.
Il s’agissait aussi de persua­
der le Sénat américain que les
chercheurs pouvaient s’auto­
gouverner… Qu’est­il ressorti
d’Asilomar ?
En 1975, Paul Berg réunit en Cali­
fornie 140 scientifiques de tous
pays ainsi que des juristes, méde­
cins et journalistes. Après des dé­
bats agités et contradictoires, un
quasi consensus a été adopté. Il
est vrai que les participants
avaient tous un avion à prendre !
Cet accord autorisait la levée du
moratoire, sauf pour les expérien­
ces jugées plus risquées pour la
santé humaine. Après quatre­cinq
ans, on n’a pas détecté de risque
particulier. Des comités de suivi
ont été mis en place. Ensuite, les
choses ont divergé pour les appli­
cations en santé ou en agriculture.
On a reproché à Asilomar
d’avoir mis de côté les
questions éthiques.
L’éventualité de «manipuler
l’homme» semblait lointaine. Par
la suite, le débat éthique a été re­
lancé par deux avancées scientifi­
ques majeures : le développement
des souris transgéniques, dans les
années 1980, et le séquençage du
génome humain, de 1998 à 2002.
Ces années­là, quelques «ayatol­
lahs» ont même voulu interdire
le séquençage du génome hu­
main, au motif qu’on risquait de
trouver des choses qu’il serait
dangereux d’exploiter !
Que vous inspire le moratoire
actuel réclamé par des cher­
cheurs nord­américains ?
C’est un peu le « rappel des ré­
servistes » ! Les deux premiers
auteurs de la mise en garde dans
Science sont David Baltimore et
Paul Berg, co­organisateurs d’Asi­
lomar. Le débat est réactivé par
l’arrivée d’un outil très précis de
chirurgie du gène, CRISPR­Cas9.
Mais il n’est pas neuf : voilà sept­
huit ans, on avait déjà des
moyens – moins faciles – de ma­
nipuler le génome des cellules
germinales humaines. Quant à
faire un moratoire sur ces mani­
pulations, cela n’a aucun sens
dans les pays qui l’ont déjà inter­
dit, comme la France !
Les interrogations actuelles
sont­elles si différentes de
celles d’Asilomar ?
Pas vraiment. Il faut faire un dis­
tinguo entre les modalités et les
principes. Aujourd’hui, manipuler
le génome humain des cellules
germinales serait prématuré: ces
techniques ne sont pas assez sû­
res. Elles peuvent introduire des
modifications hors de la cible vi­
sée. Chez l’animal, si on les appli­
que à un œuf juste fécondé, on
peut produire des individus «chi­
mères»: seules certaines de leurs
cellules portent les modifications
souhaitées. Troisième risque: on
corrige quelque chose sans con­
naître tous les effets de cette cor­
rection, car les êtres vivants sont
des systèmes hypercomplexes.
Mais on peut parier que ces tech­
niques deviendront de plus en
plus sûres. Que ferons­nous alors ?
L’homme s’autorisera­t­il à tou­
cher à sa propre hérédité ?
Le code civil l’interdit en France.
Oui, mais avoir un a priori entiè­
rement négatif sur ces questions
n’est pas si facile à défendre. Sous
quel motif allons­nous interdire
ou tolérer la moindre modifica­
tion de notre patrimoine hérédi­
taire? Par exemple, nous n’hésite­
rions pas une minute face à une
situation d’irradiation majeure
menaçant notre survie. Par
ailleurs, il existe aux Etats­Unis un
courant « transhumaniste » assez
fort, quasi inexistant en France.
Dans le cadre de ce mouvement,
certains chercheurs iront­ils jus­
qu’à cibler certains gènes propices
à une vie plus longue ? p
propos recueillis par fl. r.
Science, appelant à la plus grande prudence sur
ces pratiques…
«Ce n’est pas parce que quelques hurluberlus
jouent aux apprentis sorciers qu’il faut jeter l’op­
probre sur cet outil révolutionnaire qu’est CRISPR­
Cas9», s’insurge Alain Fischer. Car cet outil pour­
rait constituer un progrès pour la thérapie géni­
que des cellules somatiques – toutes les cellules
du corps, à l’exception des cellules germinales.
Aucun risque, en corrigeant leur génome, de
transmettre ces modifications à la descendance
des patients traités. D’où un espoir médical légi­
time pour guérir certaines maladies héréditaires
du sang, mais aussi des cancers ou le sida….
«La thérapie génique germinale ne traite pas
seulement une personne : elle affecte toute sa
descendance. C’est pourquoi elle devrait faire
l’objet d’un moratoire et d’une réflexion au ni­
veau international», estime Jean Claude Amei­
sen, président du Comité consultatif national
d’éthique. Il rappelle qu’avec le remplacement
des mitochondries dans l’ovule de la future
mère, un traitement autorisé depuis février par
le Parlement britannique, l’humanité est déjà
entrée dans une forme de thérapie germinale.
Mais les subtilités de la bioéthique ne sont pas
toujours faciles à appréhender. En témoignent
les interprétations divergentes de la loi par les
chercheurs que nous avons interrogés. En
France, à de strictes fins de recherche, la mani­
pulation du génome des cellules germinales
humaines est­elle ou non autorisée ? Non, sem­
ble trancher le code civil, dans son article 16­4
modifié par la loi du 6 août 2004 relative à la
bioéthique. « Le code civil se place ici dans une
perspective évolutive : il s’agit de protéger le gé­
nome de notre espèce. Mais l’interprétation com­
binée des différents articles de loi laisse planer
une ambiguïté », reconnaît Emmanuelle Rial­
Sebbag, spécialiste de bioéthique à l’Inserm.
Comme vingt­huit autres pays d’Europe, la
France a ratifié, fin 2011, la convention d’Oviedo.
Celle­ci stipule notamment : « Une intervention
ayant pour objet de modifier le génome humain
ne peut être entreprise que pour des raisons pré­
ventives, diagnostiques ou thérapeutiques, et seu­
lement si elle n’a pas pour but d’introduire une
modification dans le génome de la descendance. »
La distinction entre cellules somatiques et cel­
lules germinales pourrait cependant devenir
obsolète. « La biologie cellulaire est en train d’ef­
facer ces frontières», note Jean Claude Ameisen.
Car les chercheurs peuvent désormais obtenir
des « cellules souches » (dites « iPS ») à partir de
cellules somatiques adultes, par exemple de la
peau. Et de ces cellules souches, ils peuvent en­
suite « dériver » des cellules sexuelles. «Il fau­
dra sans doute une quinzaine d’années avant que
l’on obtienne des gamètes humains à partir de
cellules iPS », souligne Gabriel Livera (Inserm­
CEA). Mais ensuite ? Si l’on y parvient, on pourra
modifier le patrimoine génétique des cellules
iPS – c’est autorisé –, puis en dériver des gamè­
tes porteurs des modifications recherchées. Le
mythe prométhéen est bel et bien à portée de
main. Il est vraiment temps d’y réfléchir. p
AC T UA L I T É
| SCIENCE & MÉDECINE |
0123
Mercredi 25 mars 2015
|3
télescope
Arduino,cerveauàtoutfaire
Mathématiques
Découverte du plus petit
carré magique de cubes
| Ce microcontrôleur, roi des systèmes ouverts plébiscité par les « bidouilleurs»
pourcommander des robots, des caméras, des systèmes domotiques, fêteses 10 ans
informatique
L
david larousserie
e roi de la microélec­
tronique, c’est lui, Ar­
duino. Pas seulement
parce qu’il tire son
nom d’un souverain
italien du XIe siècle de
la région du Piémont actuel, mais
parce qu’il a envahi en tout juste
dix ans les lieux à la mode de la
bidouille et du fait maison, les
« fablabs » et autres « hackerspa­
ces». Arduino est en effet le nom
de l’entreprise qui développe, fa­
brique et commercialise des car­
tes électroniques ou microcon­
trôleurs, particulièrement sim­
ples et peu chers (20 euros
environ) et qui sont les « cer­
veaux» indispensables à bien des
bricolages.
Les microcontrôleurs sont om­
niprésents au quotidien. Sans
eux, pas de programma­
tion d’une machine à la­
ver, d’un four, d’une ca­
fetière, d’un thermo­
stat… Ce sont de petits
cerveaux électroniques,
bien moins puissants
qu’un ordinateur mais qui
exécutent à merveille et
sans trop consommer les
ordres reçus.
«Arduino donne vie aux ob­
jets », résume Emmanuelle
Roux, codirigeante de Zbis,
sorte de fablab, à La Roche­sur­
Yon (Vendée), qui propose des
stages d’initiation à cette petite
machine. Les exemples de ces
naissances ne manquent pas : ro­
bots plus ou moins humanoïdes,
drones, caméras de surveillance,
éclairages intelligents, impriman­
tes 3D, effets spéciaux pour musi­
ciens, potagers d’appartement,
prothèses de main, baby­foot qui
tweetent les résultats des par­
ties… Le 28 mars, plus de 200 évé­
nements dans le monde célébre­
ront l’Arduino Day. «Ce n’est pas
compliqué, et on peut faire des
projets complexes», note Mickaël
Postolovic, ingénieur en informa­
tique qui animera la journée à la
cyberbase de Gaillac (Tarn).
« L’entreprise Kickstarter de fi­
nancement participatif a estimé
qu’une centaine de projets repo­
sant sur Arduino avaient récolté
quelque 7 millions de dollars », in­
dique Massimo Banzi, le plus cé­
lèbre des cinq fondateurs de cette
initiative née dans un bar d’Irvée
(Italie). « Dans cette ville, bien des
lieux portent le nom du roi Ar­
duino. Y compris le café où nous
étions quand nous avons imaginé
ce concept », raconte l’enseignant
en design, qui professe aujour­
d’hui à l’université Supsi de Lu­
gano (Suisse). C’est d’ailleurs
pour ses étudiants qu’il a conçu la
première carte Arduino afin de
faciliter l’initiation à la « pro­
grammation physique », c’est­à­
dire l’interaction entre l’utili­
sateur et des objets. Depuis,
1,5 million de ces cartes ont été
commercialisées.
Ce succès vient entre autres du
fait qu’elles sont l’un des premiers
matériels libres ou open source,
un concept bien connu dans le
domaine du logiciel. Les plans et
les détails techniques sont pu­
blics, contrairement aux micro­
contrôleurs classiques. Ils peu­
vent donc être améliorés, diffusés
et copiés sans scrupules (ce qui est
le cas). «C’était pour moi évi­
dent que nous devions
opter pour un sys­
tème ouvert.
Pour en­
seigner, on a besoin de compren­
dre le fonctionnement des cho­
ses», rappelle Massimo Banzi. «Il
existe un potentiel de développe­
ment économique pour le maté­
riel libre. A condition de compren­
dre qu’on peut être innovant sans
« Ce n’est pas
compliqué,
et on peut faire
des projets
complexes »
mickaël postolovic
ingénieur en informatique
recourir à des brevets », estime
Frédéric Jourdan, cofondateur de
Snootlab, une entreprise toulou­
saine qui commercialise et déve­
loppe différents produits électro­
niques open source.
Autre particularité des cartes Ar­
duino, elles sont facilement
connectables à leur envi­
ronnement. Une quin­
zaine de connexions
permettent de bran­
cher un ensemble de
capteurs (température,
lumière, son, mouve­
ment, signal GPS…) et
de décider des actions à
conduire, comme activer
un moteur, un éclairage, un
écran… Plusieurs fabricants, tels
Sparkfun, Adafruit, Snootlab (à
Toulouse) ou Arduino lui­même,
développent aussi d’autres cartes
qui se lient au microcontrôleur
pour ajouter des fonctions plus
complexes, connexions GSM,
Wi­Fi, radio… L’avenir est d’ailleurs
aux objets connectés.
En outre, Arduino n’est pas seu­
lement du matériel, c’est aussi un
langage de programmation sim­
ple, inspiré du C ++, qui permet
d’écrire des programmes sur
n’importe quel ordinateur (Win­
dows, Mac OSX, GNU/Linux) puis
de les « téléverser » sur la carte
afin d’être exécutés.
« La vraie puissance d’Arduino,
c’est sa communauté », ajoute
tout de même Emmanuelle
Roux, qui souligne l’importance
des forums, blogs, et divers lieux
où les utilisateurs partagent
leurs idées et s’entraident. Pour
l’instant, aucun autre système ne
possède l’ensemble de ces carac­
téristiques.
Rançon du succès, fin 2014, le
noyau de fondateurs s’est fissuré
et deux procès en propriété intel­
lectuelle sont en cours.
Il existe désormais deux entre­
prises portant le même nom,
ainsi que deux sites Web (Ar­
duino.cc, l’original, et Ar­
duino.org, le nouveau venu), et
peut­être bientôt deux versions
des programmes et des futures
cartes… p
Le mathématicien français
Sébastien Miquel vient de
rendre public le plus petit
carré magique de cubes
connu à ce jour. Ce carré de
7 par 7, dont la somme des
membres des lignes et des co­
lonnes, mais aussi des deux
diagonales, a pour résultat
unique 616 617. Pour l’obtenir,
cet étudiant à l’ENS Paris a fait
tourner sur un PC un pro­
gramme écrit en Rust, de sep­
tembre 2014 à février 2015.
> www.multimagie.com
Santé
Le nombre de séropositifs
ne baisse pas
En France, 6220personnes ont
découvert leur séropositivité
au VIH en 2013, selon les don­
nées du Bulletin épidémiologi­
que hebdomadaire publié le
24 mars par l’Institut national
de veille sanitaire (InVS). Un
chiffre stable depuis 2007.
Malgré le nombre croissant de
diagnostics précoces, les dia­
gnostics tardifs concernent en­
core 1 homme sur 6 ayant des
rapports sexuels avec d’autres
hommes (HSH), et 1 hétéro­
sexuel sur 3, pointe l’InVS, qui
insiste sur la nécessité de
mieux cibler les HSH de moins
de 25 ans dans les campagnes
de prévention.
Rover équipé
d’un système
Arduino.
ROBOT SHOP
Lesvirusde ladiscorde
Aux Etats­Unis, les scientifiques se déchirent face
audéveloppementenlaboratoiredevirusgrippauxdangereux
que, organisée en décembre par
l’Académie des sciences améri­
caine, avait permis aux deux
camps de s’exprimer largement
et dans une atmosphère cour­
toise. Y étaient invités tant les op­
posants déterminés à ces tra­
vaux, tels que Marc Lipsitch, de
l’école de santé publique de Har­
vard, que les pionniers de ces re­
cherches, comme Yoshihiro
Kawaoka, de l’université du Wis­
consin, ou Ron Fouchier, de l’uni­
versité Erasmus de Rotterdam,
qui a créé des virus aviaires mu­
tants rendus transmissibles par
voie aérienne chez le furet, un
modèle animal proche de
l’homme.
Conflit d’intérêts
Pour le professeur Fouchier, «ce
fut une réunion constructive, dont
on ne pouvait évidemment s’atten­
dre à ce qu’elle débouche sur un
consensus ». Il estime qu’elle a
bien rempli sa fonction d’infor­
mer le National Science Advisory
Board for Biosecurity (NSABB), le
comité chargé de définir les nou­
velles règles qui verront le jour à
l’issue du moratoire.
Mais dans une lettre adressée
fin février au président du NSABB,
les opposants n’ont pas caché leur
déception. « Nous avions espéré
une discussion plus complète et
plus largement représentative
scientifiquement», écrivent ainsi
Richard Roberts, Prix Nobel de
Médecine 1993, et David Relman,
professeur à l’université Stanford.
Surtout, ils jugent que depuis lors
s’est ouverte une période opaque,
marquée par des auditions et des
réunions à huis clos ne permet­
tant pas de savoir où en était le
processus de décision.
Dans cette lettre au vitriol, les
deux scientifiques soulignent un
conflit d’intérêts constituant une
sorte de péché originel de ce débat.
C’est en effet le NIH qui a recruté et
supervise le NSABB. Le NIH est
pourtant le principal financeur
des recherches controversées –il
apparaîtrait donc inévitablement
comme désavoué si le NSABB était
amené à restreindre ces travaux.
La décision du NIH de confier à
une petite structure privée sans ré­
férences particulières le soin de
mener rapidement l’analyse béné­
fice­risque, et sans avoir mis en
discussion la méthodologie à em­
ployer, avive aux yeux des oppo­
sants la crainte d’une décision
prise d’avance. Car cette analyse
bénéfice­risque –qu’il faut enten­
dre comme une évaluation proba­
biliste et statistique chiffrée, avec
éventuellement un volet moné­
taire– est redoutablement com­
plexe. M. Lipsitch et M. Fouchier
ont chacun publié leur estimation
du risque dans la revue mBio, le
premier trouvant un risque de l’or­
dre de 0,01% par laboratoire et par
an (ce qui représente un taux
énorme) et le second, une valeur
négligeable…
Pour Marc Lipsitch, tout cela
«risque de donner au consultant
des signaux implicites voire expli­
cites sur le résultat de l’analyse
qu’espère le NIH». Or il faut beau­
coup de courage à un consultant
en biologie ou en médecine aux
Etats­Unis pour se mettre à dos le
richissime et puissant National
Institute of Health… p
yves sciama
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Les œuvres complètes de Shakespeare
dans une édition de référence,
préfacée par Victor Hugo
et traduite par son fils, François-Victor Hugo
visuel non contractuel
RCS B 533 671 095
L
a tension vient de monter
d’un cran dans le débat or­
ganisé outre­Atlantique
sur le bien­fondé des
«Frankenvirus», ces virus grip­
paux à la fois mortels et conta­
gieux développés à des fins de re­
cherche par certains scientifiques
américains et européens. Le Na­
tional Institute of Health (NIH),
principal financeur de la recher­
che biomédicale américaine, a en
effet confié le 11 mars à Gryphon
Scientific, un petit cabinet de con­
sultants spécialisé en biosécurité,
la charge de produire une analyse
bénéfice­risque de ces expérien­
ces, dans des conditions qui susci­
tent de vives critiques des oppo­
sants à ces travaux.
La question posée est la sui­
vante: les expériences adaptant à
l’homme des virus aviaires aide­
ront­elles à prévenir de futures
pandémies, ou au contraire ne
précipiteront­elles pas la catastro­
phe, les risques de fuite n’étant
pas maîtrisés?
L’instauration d’un moratoire
d’environ un an (le temps d’orga­
niser un «débat ouvert») sur ces
recherches controversées, le 17 oc­
tobre 2014 par la Maison Blanche,
avait été vécue par ces opposants
comme une divine surprise, tant
les autorités scientifiques améri­
caines semblaient juger négligea­
ble, depuis des années, le risque de
pandémie générée par un acci­
dent ou un acte de malveillance
impliquant ces virus. Des oppo­
sants qui espéraient enfin voir ad­
venir une vaste consultation de
toutes les parties intéressées. Ils
ont peu à peu déchanté.
Une première conférence publi­
TOUT LE MONDE EST DANS SHAKESPEARE
TOUT SHAKESPEARE EST DANS 0123
www.LeMonde-Shakespeare.fr
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0123
Mercredi 25 mars 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
ÉVÉNEMENT
Bio­logging
Dans lesecret
desanimaux
éthologie
Des techniques de balisage de plus en plus sophistiquées permettent
aux scientifiques d’appréhender l’intimité des bêtes sauvages
C
marion spée
omment les baleines
chassent­elles les cal­
mars ? Comment les
oies à tête barrée par­
viennent­elles à survo­
ler l’Himalaya dans un
air à l’oxygène raréfié?
Où vont les grands re­
quins blancs lorsqu’ils ne sont pas près
des côtes? Comment les méduses for­
ment­elles des agrégations de plusieurs
milliers d’individus ? A poils, à écailles ou
à plumes, les animaux ont une vie cachée
que les scientifiques ont toujours voulu
percer. Mais avant de répondre à ces ques­
tions, si difficiles soient­elles, il a fallu
réussir à observer les animaux en liberté
dans leur milieu. Et le problème avec ces
animaux sauvages, c’est qu’ils ont colo­
nisé des coins et recoins où l’homme peut
difficilement les suivre : le fond des
océans, l’extrême altitude, la cime des ar­
bres au cœur de la forêt primaire… Pour
mieux les connaître, les zoologistes ont
recours à des appareils électroniques mi­
niaturisés qu’ils attachent de manière
temporaire sur les animaux, des «appa­
reils embarqués », dans le jargon scientifi­
que, qui leur permettent de garder un œil
sur leurs sujets préférés tout en restant à
distance sans les déranger.
D’abord, on compte les appareils ou ba­
lises capables de transmettre en temps
réel, grâce à une antenne, les informa­
tions par ondes radio ou encore via des
satellites. C’est la bio­télémétrie. Ces bali­
ses sont surtout utilisées pour connaître
la position et les déplacements des ani­
maux. «C’est un peu comme si on donnait
un téléphone aux animaux pour qu’ils
nous appellent régulièrement et nous di­
sent où ils se trouvent», explique Sabrina
Fossette, chercheuse en biologie marine
à l’université d’Australie­Occidentale
(Perth, Australie). Un bémol tout de
même. «On est limités par le nombre de
données transmises, elles sont donc peu
précises», temporise la chercheuse. Par
exemple, pour savoir à quoi ressemblent
les plongées d’un animal marin avec ces
balises, on ne peut souvent recevoir que
des résumés donnant la profondeur
maximale et la durée de la plongée.
Pour obtenir une résolution plus fine, il
faut utiliser des enregistreurs qui re­
cueillent des données plus précises. Leur
principe n’est pas de transmettre mais de
capter, mesurer et garder en mémoire
tous les faits et gestes de l’hôte. Gardons
l’exemple des plongées : les appareils
permettent de connaître l’effort de nage
(en mesurant la fréquence de battement
des nageoires), le taux de captures de
proie (en utilisant un capteur d’ouverture
« C’est comme si on
donnait un téléphone
aux animaux pour
qu’ils nous appellent
régulièrement
et nous disent
où ils se trouvent »
sabrina fossette
chercheuse en biologie marine
de bec), la profondeur de la plongée
(grâce à un capteur de pression). Citons
encore l’accélération de l’animal pendant
ses mouvements (avec un accéléromètre)
ou sa fréquence cardiaque.
« Ils sont un peu le “journal intime” d’un
animal, en nous permettant de savoir ce
qu’ils font dans leur vie quotidienne avec
une résolution parfois inférieure à la se­
conde », confie Sabrina Fossette. Et ce
qu’ils rapportent est parfois étonnant.
Ainsi, en évaluant les variations de pro­
fondeurs atteintes par des éléphants de
mer pendant leur sommeil, alors qu’ils
se laissent dériver dans l’eau, les scienti­
fiques sont parvenus à estimer leur flot­
tabilité et donc leur teneur en gras. Si
l’animal est maigre, il coule, alors que s’il
est gras, il a tendance à moins couler,
voire à remonter.
L’utilisation d’appareils enregistreurs,
dans lesquels sont incorporés plus ou
moins de capteurs, c’est la technique du
bio­logging. Un terme inventé lors du
premier congrès international sur le su­
jet, au Japon, en 2003. «Cela vient du mot
log, qui désigne le carnet de bord des ma­
rins sur lequel ils notaient tout pour ne
rien oublier », précise Yan Ropert­Cou­
dert, à l’origine de l’appellation et cher­
cheur à l’Institut pluridisciplinaire Hu­
bert­Curien (IPHC, université de Stras­
bourg­CNRS).
L’avantage indéniable de ces appareils
est la résolution avec laquelle ils enregis­
trent les données. Mais le revers de la
médaille, c’est qu’il faut recapturer l’ani­
mal pour y avoir accès. C’est assez aisé
quand il revient se reproduire au même
endroit à intervalles réguliers, ça l’est
beaucoup moins quand il s’agit par
exemple d’une tortue luth mâle qui
passe son temps en mer sans jamais re­
venir à terre. «On ne peut pas encore en­
registrer des données précises et toutes les
transmettre, mais c’est une affaire qui
évolue », relève Yan Ropert­Coudert. Il
existe par exemple des enregistreurs­
transmetteurs intelligents, qui compres­
sent les données et en envoient un ré­
sumé, tout en gardant en mémoire les
données précises en cas de recapture.
C’est le milieu marin qui a bénéficié des
avancées les plus spectaculaires du bio­
logging: une résolution temporelle des
appareils de plus en plus fine, un type et
un nombre grandissant de capteurs pour
étudier chaque animal (vitesse, position,
C’
Manchot
royal
équipé d’un
enregistreur
de pression,
de température
et de vitesse,
dans
l’archipel des
Crozet (océan
Indien).
ONÉSIME PRUD’HOMME
température…), et une augmentation de
leur sensibilité. La quasi­impossibilité
d’observer les animaux marins dans leur
milieu naturel étant le principal moteur.
En milieu terrestre, c’est davantage la
bio­télémétrie qui a fait son chemin.
«Aujourd’hui, les deux mondes voient que
les échanges sont possibles», note Yan Ro­
pert­Coudert, qui a coorganisé le 5e con­
grès international de bio­logging à Stras­
bourg, en septembre 2014.
La miniaturisation des appareils au fil
du temps a permis d’équiper un large pa­
nel d’animaux évoluant sur terre, sous
l’eau ou dans les airs, du cafard à la ba­
leine bleue en passant par les passe­
reaux. Ces systèmes embarqués sont de
sérieux atouts pour étudier l’adaptation
des animaux aux changements climati­
ques, pour leur conservation et protec­
tion immédiate, mais aussi pour répon­
dre à des questions scientifiques plus
fondamentales, comme par exemple dé­
terminer la quantité d’énergie qu’un ani­
mal peut allouer aux soins parentaux
par rapport à sa propre survie. Parfois
même, on a accès à un « instantané »
complet de la vie de l’animal, avec no­
tamment l’utilisation de capteurs de son,
de mouvements en 3D et d’images. «On
voit alors l’animal bouger, on entend ce
qu’il entend et on voit ce qu’il voit. On est
dans sa peau, et mieux encore, on dispose
de données à quantifier et à analyser »,
s’enthousiasme Sabrina Fossette.
« Mais il ne faut pas être naïf, équiper un
animal, c’est le déranger, résume la cher­
cheuse. L’idée est sans cesse de trouver le
bon équilibre entre l’impact à court et
moyen terme que l’on a sur un animal et
l’importance des données récoltées, qui
peuvent se révéler essentielles à la survie
Une application multidiscipline
est une constatation, «le
nombre de disciplines inté­
ressées par le bio­logging
est de plus en plus important», dit le
biologiste Yan Ropert­Coudert. En
témoignent notamment les interve­
nants présents lors du dernier con­
grès international sur le sujet, qu’il a
coorganisé en septembre 2014 à
Strasbourg. «Ça va aujourd’hui bien
plus loin que l’étude des animaux
sauvages dans leur milieu naturel.»
La technique attire, pose de nouvel­
les questions et donne de nouveaux
moyens pour y répondre.
«La mesure de la pression san­
guine lors d’une plongée à grande
profondeur intrigue les physiologis­
tes purs, tandis que le mouvement
des mains de patients comme éven­
tuels indicateurs du développement
d’une maladie neurodégénérative
intéresse les médecins», énumère le
chercheur. Pourquoi ce nageur
est­il le meilleur? Son mouvement,
son accélération sont­ils plus fins
que ceux des autres? Et voilà que le
monde du sport aussi porte atten­
tion au bio­logging. Citons égale­
ment les éthologues, qui voient dans
cette technique un moyen d’explorer
différemment la structure des grou­
pes sociaux et les interactions socia­
les entre individus. «Même les bota­
nistes s’intéressent au bio­logging»,
s’enthousiasme Yan Ropert­Coudert.
Une des idées étant de reconstruire
l’écosystème thermique d’un arbre
en équipant chaque feuille d’un cap­
teur de température.
Eléphants, ecstasy et cafards
Comme pour aller toujours plus
loin, le bio­logging, en particulier la
mesure de micromouvements, servi­
rait à accéder à l’état interne sans
avoir à percer la peau. «C’est ce que
nous avons mis en évidence chez des
éléphants d’Afrique, des consomma­
teurs d’ecstasy et des cafards», assure
Rory Wilson, professeur à l’université
de Swansea (Pays de Galles), dans
une étude parue dans la revue Fron­
tiers in Ecology and the Environment
en décembre 2014.
Pour en arriver là, des individus des
trois espèces ont été équipés d’accélé­
romètres. Ces appareils miniaturisés
sont largement utilisés pour étudier
l’écologie des animaux sauvages dans
leur milieu naturel. Ils mesurent l’ac­
célération tri­axiale de l’hôte, autre­
ment dit ses mouvements fins dans
les trois dimensions. «Là, ils ont été
déployés pour révéler des processus in­
ternes», précise le professeur.
Et les résultats sont intrigants. Les
éléphants marchent différemment
selon que leur but est plaisant (bain
de boue ou nourriture) ou désagréa­
ble (quand l’éléphant est chassé par
un individu dominant). «Des diffé­
rences évidemment non visibles à l’œil
nu, mais mises en avant par la techni­
que», souligne le biologiste. Il en va
de même pour les consommateurs
d’ecstasy: les anciens et récents dro­
gués tremblent, alors que ce n’est pas
le cas des non­adeptes. Quant aux ca­
fards, la course des individus rendus
malades les trahit par rapport à celle
des insectes sains. «Du bio­logging
pour signaler l’état émotionnel des
éléphants, l’état chimique des hu­
mains, et l’état de santé des cafards»,
conclut Rory Wilson. Quoi d’autre ? p
ma. sp.
ÉVÉNEMENT
| SCIENCE & MÉDECINE |
0123
Mercredi 25 mars 2015
|5
Ce kéa, perroquet
endémique de
Nouvelle­Zélande,
porte un radio­
transmetteur qui
fournit des données
télémétriques.
TUI DE ROY/MINDEN
PICTURES/BIOSPHOTO
Méduse à crinière
de lion dans la baie
de Dublin. Elle est
équipée d’un tag
acoustique
permettant de suivre
ses déplacements.
DAMIEN HABERLIN/CMRC
La balise Argos sert
à étudier « Chelonia
mydas », une tortue
verte du sud de Mayotte.
JEAN CASSOU/NATURIMAGES
à long terme de son espèce. » Depuis le dé­
but du développement des appareils em­
barqués, le but est de les rendre plus pe­
tits, plus légers, plus aéro­ ou hydro­dy­
namiques, mais aussi de penser à leur
couleur et à leur position sur l’animal.
Ces critères importent et font l’objet de
nombreuses recherches visant à dimi­
nuer l’impact de l’appareillage.
Concernant le poids, par exemple, il ne
doit pas excéder 3 % à 5 % de celui de
l’hôte. «Pour les animaux volants, on est
plus exigeant, la barre des 3% ne doit pas
être dépassée. Pour les animaux terrestres
on est plus large, 4%­5% sont tolérables»,
souligne Francis Crenner, ingénieur de
recherche à l’IPHC­Strasbourg. «Certains
animaux étant plus sensibles que d’autres,
c’est même du cas par cas», précise Rory
Wilson, professeur à l’université de Swan­
sea (Pays de Galles). Les effets peuvent
concerner la vitesse de nage ou encore le
temps passé à rechercher de la nourriture
chez les animaux marins. Mais aucun
animal équipé n’est mort à la suite de la
pose ou du port d’un appareil.
«On a énormément bénéficié des tech­
nologies issues des smartphones et des ta­
blettes, confie Dominique Filippi, direc­
teur recherche et développement de Sex­
tant Technology Ltd (Nouvelle­Zélande),
qui pense notamment aux accéléromè­
tres présents dans les smartphones et
qui permettent aux images sur l’écran de
changer d’orientation quand on tourne le
téléphone. Leur prix est divisé par 100.»
Comme si la soif des consommateurs
pour les gadgets intelligents avait eu un
impact positif sur la zoologie, en permet­
tant la miniaturisation des composants
et en diminuant leur prix. Un enregis­
treur composé de plusieurs capteurs coû­
tant tout de même entre des centaines et
des milliers d’euros.
«Du point de vue de l’électronicien, la
principale contrainte c’est la consomma­
tion d’énergie, avoue cependant Francis
Crenner, la plus grosse partie de la masse
de l’enregistreur étant liée à l’énergie em­
barquée, autrement dit la batterie.» Pour
lui, la mise au point d’un enregistreur est
régie par un compromis perpétuel entre
sa fonctionnalité et ses dimensions. Avec
son équipe, l’ingénieur à mis au point un
appareil ultraléger (le LUL, pour ultra­light
logger). «Parmi les systèmes capables d’en­
registrer des données physiques dans une
mémoire pendant une grande durée, le
LUL est actuellement le plus petit enregis­
treur du monde», ajoute­il, excluant ainsi
de la comparaison les capteurs placés sur
les abeilles en Australie en 2014. Avec ses
2grammes, le LUL est capable d’enregis­
trer la pression –de quoi informer sur l’al­
titude ou la profondeur–, ainsi que la
température et la lumière. «En program­
mant des enregistrements toutes les se­
condes, il peut fonctionner pendant huit à
neuf mois, et plus longtemps si la fré­
quence est réglée à toutes les minutes ou
toutes les heures», spécifie l’ingénieur.
«On pense souvent que le plus gros pro­
blème est de mettre au point des appareils
capables d’enregistrer ce qu’on veut. Mais
aujourd’hui, ce qui freine nos capacités
d’innovation, c’est la nécessité de créer un
appareil qui ne va pas gêner l’animal à
Outre le poids,
il faut penser à la
couleur de l’appareil
et au meilleur endroit
où le placer sur
l’animal afin de
limiter les contraintes
long terme», note Rory Wilson. Tenter de
réduire l’impact d’un équipement sur un
animal donné est en fait une étude en
elle­même. A l’image des travaux de Syl­
vie Vandenabeele, postdoctorante à l’uni­
versité de Kiel (Allemagne), qui tente de
créer une nouvelle manière d’équiper les
oiseaux sur une longue période en mini­
misant l’impact causé.
L’idée est de ne pas avoir recours au tra­
ditionnel adhésif fixant l’appareil sur les
plumes, celui­ci se détachant quand les
oiseaux muent. «Il existe des harnais sur
lesquels on peut attacher des équipements
à long terme. Ils sont faits en cuir ou en Te­
flon, des matériaux résistants mais suscep­
tibles de provoquer des blessures à l’oiseau
qui les porte», explique la scientifique. Elle
a ainsi mis au point un harnais à base de
silicone à placer sous les plumes. Elasti­
que, pouvant prendre n’importe quelle
forme, il s’adapte au changement de poids
annuel des oiseaux. «Nous sommes en
train de faire des tests sur les animaux sau­
vages», ajoute­t­elle, ceux effectués sur les
animaux captifs ayant été convaincants.
La question posée par le scientifique va
dans la majorité des cas guider le choix
des capteurs à utiliser et leur paramé­
trage. «Le développement même d’un en­
registreur et de ses composants est directe­
ment en rapport avec le problème à résou­
dre et avec l’espèce sur laquelle il sera
déployé», estime Dominique Filippi. C’est
une discussion entre le concepteur et le
scientifique, pour réduire l’impact sur
l’animal tout en en apprenant un maxi­
mum sur lui. «Tester ses hypothèses, c’est
le graal de tous les scientifiques, mais les
possibilités offertes par le bio­logging nous
permettent d’ouvrir les yeux encore plus
grands », assure Rory Wilson. Il cite
l’exemple de paresseux équipés de cap­
teurs révélant leur répartition dans la jun­
gle. En incorporant des capteurs de tem­
pérature, d’humidité ou d’activité, il est
possible d’explorer encore plus, sans pour
autant modifier la taille de l’appareil em­
barqué sur l’animal. «Il y a là une question
scientifique et, à la clé, la possibilité d’en
apprendre plus», résume le professeur.
Et après? Pour Rory Wilson, c’est sur­
tout sur le traitement des données qu’il
va falloir se pencher. «On a trop de don­
nées et on n’a pas les moyens de les analy­
ser », remarque le biologiste. Au­delà
d’un retard dans le développement de lo­
giciels de traitement des données – ils
étaient plus ou moins « faits maison » au
départ, mais sont maintenant de plus en
plus performants et professionnels –, ce
sont les ordinateurs qui ne sont pas assez
rapides pour faire les analyses. A l’avenir,
il faudra des ordinateurs plus rapides
mais aussi l’écriture de programmes
d’analyse plus performants. «A l’univer­
sité de Swansea, nous travaillons avec des
informaticiens non biologistes qui com­
prennent notre problème et qui ajustent
les programmes et logiciels», se réjouit le
professeur.
« L’idéal serait d’accéder à un conti­
nuum, de mettre en commun les données
récoltées pour chaque espèce ou chaque
biotope, afin de comprendre le fonction­
nement d’un écosystème dans son en­
semble ou la vie d’un animal sauvage
comme si on était avec lui », conclut Yan
Ropert­Coudert. p
De précieux chercheurs
malgré eux
«O
n n’utilise pas les ani­
maux uniquement
pour étudier leur éco­
logie, assure Christophe Guinet,
directeur de recherche au Centre
d’études biologiques de Chizé
(CNRS­université de La Rochelle),
dans les Deux­Sèvres, et spécia­
liste de l’écologie des mammifères
marins. On en profite pour récolter
en même temps des informations
sur l’environnement.» Les ani­
maux marins plongeurs, équipés
d’appareils électroniques miniatu­
risés, se révèlent être des acteurs
de premier plan pour recueillir
des données de température, de
salinité ou encore de fluorescence.
C’est l’étape la plus récente dans
l’histoire du développement du
bio­logging : faire de l’animal un
scientifique malgré lui, un bio­in­
dicateur des changements envi­
ronnementaux. «Etudier l’écologie
et récolter des données océanogra­
phiques sont indissociables, il y a
même une réelle plus­value à me­
ner les deux de front», affirme le
scientifique. Cette double appro­
che permet de répondre à des
questions à l’interface des deux
disciplines, notamment sur la fa­
çon dont les conditions océano­
graphiques locales influencent les
performances de pêche chez des
prédateurs marins.
Les phoques polaires,
très bons candidats
Dans les océans du monde, la
plupart des données sont collec­
tées par des bateaux ou plus ré­
cemment par des profileurs Argos,
des flotteurs dérivants de subsur­
face qui collectent des données à
mi­profondeur et remontent régu­
lièrement à l’air libre pour trans­
mettre par satellite les profils en­
registrés. Mais dans les hautes
latitudes ou à certaines périodes
de l’année, ces méthodes ne sont
pas les plus adéquates. «Les ba­
teaux ne vont pas passer l’hiver au
même endroit pour mesurer la sali­
nité ou la température de l’eau.
Quant aux profileurs Argos, ils sont
peu utiles dans les océans recou­
verts de banquise, car ils ne peuvent
pas remonter à la surface pour
transmettre leurs données quand la
glace de mer se forme», explique
Christophe Guinet.
C’est là qu’interviennent nos
scientifiques anonymes. Les pho­
ques polaires sont de particulière­
ment bons candidats: ils plongent
beaucoup, profondément et cou­
vrent une zone où peu de données
sont récoltées. De surcroît, leur
respiration pulmonaire les con­
traint à revenir périodiquement à
la surface pour faire le plein d’oxy­
gène. «C’est idéal pour référencer
les données océanographiques
dans l’espace», note le chercheur.
Une fois les animaux hors de l’eau,
les informations de type pression,
température ou salinité, glanées
par leurs balises Argos, sont trans­
mises de manière instantanée aux
scientifiques par satellite. «Les
données issues des éléphants de
mer [plus imposants représentants
de la famille des phoques] repré­
sentent aujourd’hui 98% des profils
de température et de salinité asso­
ciés à la zone de banquise antarcti­
que», précise le chercheur. Les 2%
restant provenant principalement
des navires océanographiques.
Là où le bât blesse, c’est que les
scientifiques récoltaient jusque­là
des données visant à répondre à
des questions écologiques, et les
données océanographiques re­
cueillies par la même occasion
étaient éparpillées parmi les diffé­
rentes équipes de recherches par­
tout dans le monde. «Nous avons
entrepris de fédérer les chercheurs
travaillant sur les animaux marins
plongeurs afin de rendre accessi­
bles ces données sur une plate­
forme unique, mises au même for­
mat, validées et corrigées de la
même façon, se réjouit Christophe
Guinet. Que chacun passe au­des­
sus de ses prérogatives est une
belle réussite.» La plate­forme,
unique en son genre, sera dispo­
nible courant mai, sous le nom de
Mammals Exploring the Ocean
Pole to Pole (MEOP). «Plus de
300 000 profils de température et
de salinité seront ainsi mis à dis­
position de la communauté inter­
nationale », prévient le chercheur.
Avis aux amateurs… p ma. sp.
6|
0123
Mercredi 25 mars 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
Traité sur
la merde
mondialisée
Concertoenmiaou majeur
le livre
Un essai érudit souligne
les multiples défis posés
par la gestion des excréments
hervé morin
E
lle est en nous, elle nous entoure,
nous nourrit et parfois nous tue, in­
grédient essentiel et tabou «sur le­
quel l’ordre naturel de la vie est
fondé». La merde, puisque c’est d’elle qu’il
s’agit, est aussi un «impensé» de la mondia­
lisation, nous apprend David Waltner­Toews,
dans un essai roboratif.
L’épidémiologiste et fondateur de l’antenne
canadienne de Vétérinaires sans frontières
montre sur le sujet une érudition impression­
nante. Naturaliste, d’abord, quand il nous en­
traîne en Tanzanie examiner la moindre
crotte produite par les grands animaux de la
savane auxquels il préfère l’humble mais her­
culéen bousier. Ce Sisyphe roulant sa boule de
crottin est indispensable au recyclage des dé­
jections. Les Australiens l’ont appris à leurs
dépens: depuis cinquante ans, ils tentent
d’acclimater des scarabées étrangers sur les
pâturages pour éviter qu’ils ne soient stérili­
sés par les bouses de bovins que les coléoptè­
res locaux, spécialisés dans les déjections de
marsupiaux, ne peuvent décomposer.
Biologiste racontant l’évolution des excré­
ments depuis les origines, chimiste décrivant
leurs transmutations intimes, économiste
examinant les transferts de matières premiè­
res entre continents dont leur production par
l’élevage intensif témoigne, écologiste dévoi­
lant leur transit dans différentes strates d’éco­
systèmes emboîtés, David Waltner­Toews se
fait aussi linguiste. Il décrit la richesse du vo­
cabulaire désignant la chose –bien aidé en
cela par le traducteur Laurent Bury. Mais ce
champ lexical reste pourtant trop pauvre, re­
grette Waltner­Toews, puisqu’il est incapable
de réunir sur ce sujet central «l’imagination
politique populaire et la conception scientifi­
que et technique des questions essentielles».
C’est que la merde, qui peut véhiculer des
maladies, empoisonner terres, rivières et ri­
vages, constitue désormais, à l’échelle où elle
est produite par une humanité urbanisée et
les animaux qu’elle élève pour s’en nourrir,
un défi majeur. Un de ces «problèmes perni­
cieux» pour lesquels «il n’existe ni formula­
tion incontestée ni solution optimale». Un
problème auquel la science actuelle, souvent
unidimensionnelle, n’est pas adaptée, sou­
tient Waltner­Toews, qui se révèle aussi épis­
témologue.
Face à ce défi apparemment insoluble, on
sent le Canadien tenté par une forme de fata­
lisme malthusien: «Pouvons­nous reculer du
bord du précipice vers lequel la surpopulation
de la planète nous a poussés?», se demande­
t­il, ajoutant «qu’à long terme la santé pour
tous signifie l’affliction pour beaucoup». Le
dernier chapitre, où des solutions sont avan­
cées (manger moins de viande, puiser l’éner­
gie des excréments…), suggère cependant qu’il
a encore l’espoir de laisser aux générations fu­
tures la planète, sinon aussi propre qu’il l’avait
trouvée, du moins encore vivable. p
Merde… Ce que les excréments nous
apprennent sur l’écologie, l’évolution et le
développement durable, de David Waltner­
Toews (Piranha, 256 p., 16,50 €).
Livraison
Essai
«A la rencontre des comètes »
C’est le livre indispensable pour tout savoir
sur les comètes, replacées au cœur de l’actua­
lité grâce à la mission européenne Rosetta.
Les deux auteurs, astronomes, reviennent sur
les premières observations de ces astres er­
rants, puis sur le rendez­vous terrestre et spa­
tial avec la comète de Halley en 1986. Ils dé­
taillent la mission Rosetta, y incluant les tout
derniers résultats. Ils concluent même sur
des comètes hors de notre système solaire.
> « A la rencontre des comètes »,
de James Lequeux et Thérèse Encrenaz
(Belin, 146 p., 22,90 €).
RENDEZ­VOUS
improbablologie
Pierre
Barthélémy
Journaliste et blogueur
Passeurdesciences.blog.lemonde.fr
D
(PHOTO: MARC CHAUMEIL)
ans le grand bestiaire de la
littérature scientifique, on
trouve nombre d’études
tentant de montrer une in­
fluence de la musique sur les ani­
maux. Ainsi, la musique aiderait à la
croissance du cerveau des poulets
–peut­être avec le fameux Rock’n roll
des gallinacés, qui n’a, en revanche,
pas fait grand­chose pour le cerveau
des enfants l’ayant écouté en boucle.
Elle calmerait les chiens dans les refu­
ges. Il faut cependant reconnaître que
l’effet est loin d’être général: avec des
babouins, des gorilles, des chevaux,
des agneaux et même des poissons
(mais pas de ratons laveurs), les expé­
riences menées n’ont donné aucun
résultat concluant.
Particularités auditives
Pour une équipe américaine de trois
chercheurs, deux psychologues
–Charles Snowdon et Megan Savage,
de l’université du Wisconsin – et un
musicologue – David Teie, de l’univer­
sité du Maryland –, cela tient sans
doute au fait que les concepteurs de
ces expérimentations n’ont pas pris en
compte les particularités auditives des
animaux: il serait donc vain, comme
cela a souvent été le cas, de faire écou­
ter du Mozart ou du Justin Bieber (ah,
non, ça, c’est éthiquement interdit) à
des bestioles sensibles à des plages de
fréquences et à des rythmes différents
de ceux qu’on retrouve dans les musi­
ques conçues pour Homo sapiens.
Dans une étude à paraître dans la
revue Applied Animal Behaviour
Science, ces chercheurs ont donc
testé sur des chats deux morceaux
musicaux adaptés à leur système de
communication. Comme minou vo­
calise plus aigu que l’humain, la tes­
siture des airs en question se situait
deux octaves au­dessus de la
moyenne de nos musiques. Dans le
premier morceau, intitulé Cozmo’s
Air, les chercheurs ont inséré des
glissandos évoquant le « miaou »
ainsi qu’un discret vrombissement,
calé sur la fréquence… du ronronne­
ment. Dans le second extrait, Rusty’s
Ballad, le rythme d’arrière­plan cor­
respond à celle de la succion du cha­
ton qui tête. Il comprend également
des sortes de sifflements d’oiseaux –
on réagira plus à la musique si elle
met en appétit. Pensés pour plaire
aussi aux humains (avec qui les pe­
tits félins daignent en général parta­
ger leur domicile), les airs ressem­
blent vaguement à de la musique de
relaxation.
Une fois leurs morceaux en boîte, les
chercheurs ont frappé à la porte de
47 chats domestiques âgés de 5 mois à
19ans et installé chez eux deux haut­
parleurs. L’un diffusait les deux airs
miaouesques, l’autre deux extraits de
musique humaine (non, pas les Chats
sauvages ni les Stray Cats, mais l’Elégie
de Fauré et l’Air sur la corde de sol de
Bach), afin d’avoir un point de compa­
raison. Et en avant la zizique! Chaque
expérience était filmée pour observer
le comportement des chats, compter
le nombre de fois où ils tournaient la
tête vers tel ou tel haut­parleur, se di­
rigeaient vers lui, le reniflaient, s’y
frottaient, ronronnaient ou bien s’ils
quittaient la pièce, feulaient, faisaient
le gros dos, le poil hérissé…
Les résultats sont sans ambiguïté. Fé­
lix et consorts ont manifesté un intérêt
certain pour «leur» musique et sont
restés indifférents à Fauré et à Bach.
Pour le premier auteur de l’étude, Char­
les Snowdon, on pourrait très bien
imaginer, en cette ère de quête du bien­
être animal, de diffuser à nos compa­
gnons à poils, plumes, voire écailles,
des morceaux spécialement composés
pour eux. «Dans cent ans, anticipe­t­il,
il faudra apprendre aux gens qu’à une
époque, la musique était réservée aux
humains.» A surfer sur la bande FM, on
avait pourtant l’impression que ce
n’était déjà plus le cas. p
COSSIMA PRODUCTIONS
Une salamandre géante
du temps des dinosaures
affaire de logique
Ne vous y trompez pas: cette charmante bête
occupe « la place d’une petite voiture », dixit
Steve Brusatte, le paléontologue écossais à la
tête de l’équipe internationale qui rend publi­
que cette découverte, le 24 mars, dans le Jour­
nal of Vertebrate Paleontology. Des restes fossi­
lisés de plusieurs dizaines de ces animaux ont
été extraits d’un lac asséché du sud du Portu­
gal. Après analyse de la forme des membres et
de la tête, les scientifiques ont acquis la certi­
tude qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce. Bap­
tisée Metoposaurus algarvensis («monstre
écailleux de l’Algarve») et vieille de quelque
220 millions d’années, elle appartient à un
groupe d’amphibiens carnivores présents dans
toutes les zones tropicales du supercontinent
nommé Pangée, au temps des premiers dino­
saures. Des fossiles apparentés ont ainsi été re­
trouvés en Europe, Asie, Afrique et Amérique
du Nord. Ancêtres des salamandres mais aussi
des tritons et des grenouilles, ces prédateurs à
l’impressionnante mâchoire (des centaines de
dents aiguisées) ont pour la plupart disparu il y
a 201 millions d’années. p
RENDEZ­VOUS
| SCIENCE & MÉDECINE |
0123
Mercredi 25 mars 2015
|7
«Maman, on
mange quoi
ce soir ? –Moi»
zoologie
nathaniel herzberg
L
STÉPHANE REMAEL
POUR « LE MONDE »
ClaireCompagnon, militante
pourlesdroitsdespatients
| L’opiniâtre représentantedes usagers del’hôpital depuis 1996
sevoitnomméeaujourd’huiinspectricedesaffairessocialesparlegouvernement
portrait
C’
pascale santi
est une première. Claire
Compagnon, combattante
du droit des malades, a été
nommée à l’Inspection gé­
nérale des affaires sociales
(IGAS), le 4 mars, en con­
seil des ministres. C’est la première fois
qu’une représentante des usagers intègre
cette institution. Aujourd’hui conseillère en
politiques de santé, représentante des usa­
gers à l’Hôpital européen Georges­Pompidou
(HEGP), Claire Compagnon, qui siège dans de
nombreuses instances pour y représenter les
patients, a un profil atypique au regard de
l’univers plutôt feutré de l’IGAS, chargée du
contrôle des institutions publiques de santé.
«C’est une victoire, c’est la cause des patients
qui est reconnue», se félicite le docteur Véro­
nique Fournier, directrice du centre d’éthi­
que clinique de l’hôpital Cochin.
Claire Compagnon, qui prendra ses fonc­
tions le 30 mars, est au cœur de la lutte pour
faire avancer le droit des malades en France.
Ce n’est pas un hasard si la ministre de la
santé, Marisol Touraine, lui avait demandé
un rapport, qu’elle a rendu début 2014, inti­
tulé «Pour l’an II de la démocratie sanitaire».
L’an I étant pour elle la loi du 4 mars 2002, qui
a permis de reconnaître des droits aux mala­
des. Dans cet opus de 250 pages, Claire Com­
pagnon a livré une série de recommanda­
tions pour faire avancer le statut des patients,
afin, notamment, qu’ils soient davantage re­
présentés dans les instances de décision. La
future loi de santé, actuellement discutée au
Parlement, reprend quelques­unes de ses re­
commandations, mais la nouvelle inspec­
trice regrette que la question sur le statut des
usagers ne figure pas dans le projet de loi.
Depuis des années, cette femme dynami­
que se bat pour que les usagers jouent un
rôle dans le système de santé. Juriste de for­
mation, elle s’est rapidement spécialisée
dans les questions sanitaires. Son histoire fa­
miliale est marquée par une mère malade,
alors qu’elle n’était qu’une enfant, et par le
secret ayant entouré cette maladie. «Cela a
sûrement conditionné mon obsession de re­
mettre de la parole alors que j’en ai beaucoup
manqué», confie­t­elle.
A la fin de ses études de droit, on lui propose
de s’occuper de la protection de l’enfance dans
les Yvelines, dans le secteur de Trappes. «J’ai
commencé à traiter du rapport des usagers
avec l’administration et les professions médico­
sociales, finalement tout ce qui allait jalonner
ma carrière», relate Claire Compagnon. Mais
elle s’ennuie vite, et c’est le grand tournant:
elle rejoint l’association Aides au début des
années 1990. L’épidémie de sida était alors ex­
trêmement violente. Malgré la mort, la dou­
leur, ces années restent pour elle «une expé­
rience inoubliable, un engagement profond»,
car «c’était un vrai lieu de pensée, un endroit où
on réfléchissait collectivement».
Elle rejoint ensuite la Ligue contre le cancer
en tant que directrice du développement.
Choquée de n’entendre parler que des cancé­
rologues, des médecins, elle veut donner la
parole aux malades, et organise en 1998 les
premiers « états généraux des malades du
cancer». Des patients, des proches, y racon­
tent le séisme de l’annonce, la vie avec la ma­
ladie, la relation aux soignants, le manque
d’information, d’accompagnement. « Il y
avait un sentiment d’exaltation, celui de faire
émerger quelque chose qui n’existait pas, ex­
plique Véronique Fournier, qui a fait équipe
avec Claire Compagnon lors des états géné­
raux de la santé en 2002. Claire a été le té­
moin, l’instigatrice et l’actrice majeure pour
cristalliser ce mouvement.»
En 2009, elle a remis aux autorités
concernées un rapport sur
« la maltraitance ordinaire dans
les établissements de santé »
Cet événement fera date. Suivront les états
généraux de la santé qui aboutiront à la loi de
2002 sur les droits des malades, dite loi
Kouchner. Puis d’autres états généraux et
des plans cancer successifs. Dans le même
temps, le mouvement associatif de patients
se construit. Le Collectif interassociatif sur la
santé (CISS) avait été créé en 1996. «Ces mou­
vements permettent de faire émerger des di­
mensions autres que la maladie et son traite­
ment, autour de la douleur, de la nutrition, des
relations avec les proches, de l’environnement
économique», assure Claire Compagnon.
Petit à petit, ne lâchant rien, elle fait bouger
les lignes. D’une belle voix douce mais ferme
et juste, «elle ne s’en laisse pas compter», dit
le docteur Fournier. «C’est une militante, en­
gagée dans la défense du droit des patients,
avec passion, compétence et intransigeance»,
estime Thomas Sannié, président de l’Asso­
ciation française des hémophiles. «Lorsque
je présidais le comité consultatif médical de
l’HEGP, elle m’a appris beaucoup de choses sur
une vision moderne du droit des usagers. Pas
seulement comme protecteurs du droit mais
aussi pour améliorer le fonctionnement de
l’hôpital », explique Jean­Yves Fagon, qui
exerce toujours dans cet établissement.
Certes, les droits des patients se sont amé­
liorés, mais l’hôpital peut à certains mo­
ments être un lieu maltraitant. Claire Compa­
gnon connaît ce sujet. Elle a réalisé en 2009
une étude pour la Haute Autorité de santé sur
«la maltraitance ordinaire dans les établisse­
ments de santé», où le pire côtoie parfois le
meilleur. Elle a aussi publié avec Thomas
Sannié, en 2012, L’Hôpital, un monde sans pi­
tié (éd. L’Editeur), qui rapporte des témoigna­
ges effroyables, comme ceux de ces patients
sommés de «faire dans leur couche».
Elle relate aussi des appels de patients de­
puis les urgences du HEGP, où elle représente
les usagers depuis 1996. Ne sachant plus à
qui s’adresser, ils ont vu sur un mur son nu­
méro de portable. «Ils sont là depuis plusieurs
heures, ont l’impression que rien n’avance,
qu’on ne leur dit rien, sont totalement réifiés,
ils ne comprennent pas pourquoi on les traite
si mal. » Certes, « cela n’arrive pas souvent,
commente­t­elle, mais à certains moments,
on se demande comment l’hôpital peut être
aussi peu attentif à ses usagers. Quand vous
êtes à l’hôpital, vous êtes parfois devant des
portes fermées».
Elle a elle­même beaucoup côtoyé les hôpi­
taux aux côtés de sa fille, qui a 19 ans
aujourd’hui. «J’ai vu ma fille malade, j’avais
toutes les clés, mais même quand on est bien in­
formé, on se sent dans ces moments­là totale­
ment isolé, perdu.» Cette mère de deux enfants
n’en dira pas plus sur cette épreuve, menée de
front avec sa vie professionnelle intense.
La parole, donnée ou retenue, encore et
toujours, elle y est très attentive, très respec­
tueuse de ses interlocuteurs, dit Thomas
Sannié. «C’est ma façon d’avoir été résiliente»,
dit­elle. Car la parole peut aussi être dévasta­
trice. Elle cite Camus, sans aucune préten­
tion : « Mal nommer les choses aggrave les
malheurs du monde.»
«Son combat n’a pas toujours été facile, car
le pouvoir n’est pas de notre côté, constate le
docteur Fournier. Parce qu’on est des femmes.
Et parce qu’on parle des patients.» p
e dévouement maternel n’a pas de li­
mites, c’est bien connu. Mais Stegody­
phus lineatus, une araignée d’un peu
plus de 1 cm qui peuple les régions dé­
sertiques allant du pourtour méditerranéen
au Pakistan, pousse loin le sens du sacrifice.
Pendant deux semaines, elle nourrit ses nou­
veau­nés avec des sucs qu’elle régurgite. Puis
elle achève le processus en offrant son corps à
sa progéniture, qui ne laisse d’elle qu’un sque­
lette desséché. Le phénomène a été découvert
dans les années 1970. Mais dans le numéro
d’avril du Journal of Arachnology, une équipe
israélienne décrit pour la première fois le lent
processus de transformation des tissus au
terme duquel la mère devient… comestible.
Pour cela, les scientifiques ont «sacrifié»
quelques individus, sélectionnés aux diffé­
rents stades de la reproduction. Et observé
comment le corps changeait peu à peu de
nature. Tout commence pendant l’incuba­
tion. Certaines parties de l’intestin s’assom­
brissent. Les tissus se dégradent. A l’éclosion,
on observe un ramollissement sensible de
l’abdomen.
La mère a donc déjà commencé à payer de
sa personne. C’est que, dès la ponte, l’araignée
a cessé de s’alimenter. Une fois les œufs éclos,
elle puise dans ses réserves pour produire et
régurgiter le suc que les petits viennent aspi­
rer dans sa bouche. Les chercheurs ont pu
constater qu’à cet instant le processus est en­
core réversible. En effet, s’il arrive malheur à la
couvée, et dans ce cas seulement, la mère peut
pondre une seconde fois, les ovaires, notam­
ment, étant demeurés intacts.
Sinon, le processus d’alimentation des petits
et de dégradation progressive du corps se
poursuit. Au cours de cette phase de deux se­
maines, l’araignée perd 45 % de son poids.
Autant dire que c’est un animal épuisé, sinon
tout à fait exsangue, et dont la plupart des
muscles, tissus et organes – à l’exception no­
table du cœur – se sont liquéfiés, qui s’effon­
dre au terme de cette période.
MOR SALOMON
Effondré mais vivant. La scène finale, l’ul­
time repas «familial», peut alors commencer.
Qui invite la fratrie à table? «Pour le moment
nous l’ignorons, explique l’entomologiste Mor
Salomon, première signataire de l’article. Chez
Amaurobius ferox, une autre espèce matri­
phage, nous avons retrouvé un signal, une vi­
bration émise par la mère sur la toile, que les
petits perçoivent. Mais chez Stegodyphus
lineatus, rien pour le moment.»
En tout cas, les rejetons ont compris. L’abdo­
men est à présent tout mou, aisé à percer. Et
particulièrement riche en nutriment et pro­
téines. Tour à tour, les quelque 80 petits que
compte la couvée prennent part au festin, as­
pirant tout ce qu’ils trouvent, jusqu’aux car­
tilages des pattes. Deux à trois heures plus
tard, ils abandonnent un squelette, «un ballon
vide», selon Mor Salomon, qui ne pèse plus
que 5% du poids initial. Pendant deux semai­
nes encore, ils resteront au nid, repus. Puis
quitteront le foyer pour partir à l’assaut
d’autres proies.
Même si le sacrifice maternel a été observé
chez une espèce de pince­oreilles, les arai­
gnées dominent cette pratique puisque une
dizaine d’espèces matriphages ont déjà été ré­
pertoriées, dont toutes celles de la famille de
Stegodyphus lineatus: les Erisidae. L’imagina­
tion y a pris le pouvoir. Ainsi cette espèce cou­
sine, Stegodyphus dumicola, où, non contents
de dévorer leur génitrice, les petits y adjoi­
gnent des individus adultes sacrifiés par la
collectivité pour perpétuer l’espèce. Ou cette
autre chez qui la mère pond deux couvées, la
seconde alimentant, au sens propre, la pre­
mière. Décidément, rien n’est trop bon pour
nourrir ses enfants. p
8|
0123
Mercredi 25 mars 2015
| SCIENCE & MÉDECINE |
L’impression 3D encore plus rapide
La fabrication additive, ou
impression 3D, est très à la mode
non seulement pour les
professionnels mais aussi auprès
du grand public. Les premiers
peuvent ainsi fabriquer des
prototypes ou des maquettes
tridimensionnels pour
l’architecture, le design, l’industrie,
la médecine… Quant aux béotiens,
ils peuvent commander toute sorte
d’objets comme des figurines, des
bijoux, des pièces de rechange, etc.,
ou les fabriquer eux­mêmes (voire
fabriquer l’imprimante !). Mais les
procédés sont assez lents. La start­
up américaine Carbon3D vient de
dévoiler un procédé «25 à 100fois
plus rapide selon la précision
voulue» que ses concurrents. Soit
de l’ordre de la dizaine de
centimètres par heure pour un
dixième de millimètre de précision.
Une tour Eiffel de 10 cm jaillit ainsi
en une heure. La recette a été
publiée en avance par Science le
16 mars, pour coller à une
conférence TED au Canada donnée
par le directeur de Carbon 3D.
La technique utilisée appartient à
la famille de la stéréolithographie,
qui consiste à durcir de la résine
en la polymérisant par un
éclairage ultraviolet. Le nouveau
procédé est plus rapide, car il
fonctionne en continu et ne
nécessite pas, comme pour les
concurrents, d’être interrompu
régulièrement pour réintroduire
de la résine liquide.
La plupart des imprimantes 3D
grand public reposent sur un
principe différent, l’ajout couche
par couche de plastique fondu. p
david larousserie
Support
Objet en résine solidifiée
Le procédé grand public
Résine durcie
Bain de résine liquide
Fine épaisseur
de résine toujours liquide
Vitre perméable à l'oxygène
Du plastique fondu est déposé couche
par couche par l’intermédiaire d’une « tête »
de lecture. Soit la tête se déplace, soit c’est
le support. Selon le site communautaire
spécialisé 3D Hubs, les fabricants RepRap
(Prusa i3) et Makerbot (Replicator) dominent
ce marché grand public couvert par plus
de 300 modèles.
Projecteur à UV
Fil en plastique
Tête
extrudeuse
10 à 50 cm
par heure
Le nouveau procédé
Le durcissement est dû à une réaction
de polymérisation induite par la lumière
ultraviolette. L’oxygène a tendance
à inhiber cette réaction. Un matériau
perméable à l’oxygène assure le maintien
d’une résine liquide au fond du bac ;
au-dessus de cette couche, l’oxygène
est consommé et n’interdit donc pas
la polymérisation. Une couche
devient dure.
Chaleur
Pièce
en cours
de fabrication
Support
SOURCE : TUMBELSTON ET AL., SCIENCE, 16 MARS
INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER
Pour le professeur de psychologie KarimJerbi,les règles debonne conduite sont trop souvent malétablies
ou pas suffisamment maîtrisées partous les intervenants dela rechercheen neurosciences
Mauvaises manipulations etautres« bêtises»
|
«F
aites des bêtises, mais faites­les
avec enthousiasme. » A cette ci­
tation de Colette que j’affec­
tionne particulièrement, je ra­
jouterai qu’en sciences il faut
tout de même bien choisir ses
bêtises ! Les manipulations de résultats en recher­
che clinique régulièrement dénoncées ces dernières
années dans la presse biomédicale internationale
relèvent plus de la fraude que de la bêtise, même si
l’enthousiasme y était sans doute bien présent.
Pourtant les mauvaises manipulations ordinaires
existent. Prenons l’exemple de domaines qui me
sont familiers : les neurosciences cognitives, la
neuro­imagerie ou encore la neuro­ingénierie. Des
études récentes pointent du doigt le manque de fia­
bilité, allant dans certains cas jusqu’à la défaillance
de la méthodologie et des résultats publiés. Une
étude de la revue Nature Reviews in Neuroscience
(Button et al., 2013) révèle que la majorité des résul­
tats publiés en neurosciences ne seraient pas fia­
bles, car ils ne respectent pas un critère, pourtant
fondamental en recherche scientifique, celui de la
reproduction des résultats. L’origine du problème
est souvent la taille de l’échantillon, autrement dit
un nombre de participants trop faible pour générer
des résultats fiables et reproductibles (problème de
puissance statistique).
Ah, la statistique! Cette joyeuse et mystérieuse pas­
serelle entre observations expérimentales et inter­
prétations scientifiques. Dernière étape de la chaîne
d’analyse et but ultime de toute étude scientifique,
l’évaluation de la signification statistique des résul­
tats est le maillon faible, victime des plus belles bêti­
ses. Dans une étude récente publiée dans Journal of
Neuroscience Methods (Combrisson et al., 2015),
nous décrivons un autre exemple de mauvaise prati­
que statistique qui concerne plus particulièrement
le domaine du décodage cérébral. Au croisement en­
tre neuroscience cognitive et intelligence artificielle,
le principe du brain decoding repose sur l’utilisation
des signaux cérébraux pour prédire ou inférer le
contenu de nos processus cognitifs les plus secrets,
tels que nos perceptions ou nos intentions.
Comment fait­on pour lire les pensées d’une per­
sonne uniquement en se servant de l’activité de son
cerveau ? Le principe de l’apprentissage supervisé
est simple : nous entraînons dans un premier temps
un algorithme informatique (le classifieur) à diffé­
rencier les signatures cérébrales spécifiques à plu­
sieurs types de comportements ou d’états cognitifs,
en lui présentant les signaux cérébraux associés à
chaque classe. Cette phase d’entraînement est suivie
tribune
|
par la phase de test, durant laquelle nous évaluons
la performance de notre classifieur sur des signaux
qu’il n’a pas vus lors de l’entraînement. Le taux de
réussite obtenu par la classification sur ces données
cérébrales de « test » est un pourcentage qui repré­
sente la précision du décodage.
Le bon sens, et les vieux souvenirs de cours de pro­
babilités, voudrait qu’on dise qu’un bon décodage
est un décodage qui dépasse le niveau de la chance.
Ainsi, pour classifier deux états cognitifs, par exem­
ple l’intention d’une personne de bouger sa main
droite ou la gauche, nous sommes face à un pro­
blème à deux classes. Un classifieur qui n’aura rien
appris aura une performance parfaitement aléa­
toire : il se trompera une fois sur deux. Le seuil de
chance qu’une bonne classification doit dépasser
est donc 50 %. En théorie. Car ces niveaux de chan­
ces (50 % pour un problème à 2 classes, ou 25 % pour
4 classes) n’ont un sens qu’en présence d’un grand
nombre d’échantillons.
« Dernière étape de la chaîne
d’analyse et but ultime de toute
étude scientifique, l’évaluation
de la signification statistique
des résultats est le maillon faible,
victime des plus belles bêtises »
Faites l’expérience vous­même. Jouez à pile ou
face en lançant une pièce dix fois de suite. Théori­
quement, le seuil de chance vous prédit d’avoir pile
5 fois sur 10 (soit 50 %), mais vous ne seriez pas
étonné si vous obteniez pile 7 fois sur 10 (soit 70 %).
Est­ce pour autant une indication que votre pièce
est truquée ? Bien sûr que non. Il s’agit là d’un phé­
nomène bien connu, celui des faibles tailles
d’échantillons. Si vous organisez un énorme lancer
de pièces simultané avec 1 million de participants
partout dans le monde, tous connectés sur Internet,
le pourcentage des lancers ayant donné pile s’appro­
chera cette fois beaucoup plus du seuil attendu de
50 %. Le seuil de chance varie en fonction du nom­
bre d’échantillons, et les seuils théoriques ne sont
valables que pour un nombre infini d’échantillons.
Cette observation est bien entendu connue et bien
prise en compte dans le domaine de l’apprentissage
statistique.
En revanche, et c’est tout l’enjeu de notre étude ré­
cente, de nouveaux domaines de recherche multi­
disciplinaire empruntent aujourd’hui des méthodes
issues de l’intelligence artificielle (comme l’appren­
tissage supervisé). Quelquefois sans connaissance
approfondie des limitations et des règles de bonne
conduite méthodologique associées. C’est le cas par­
fois des recherches sur le décodage cérébral et, plus
largement, les interfaces cerveau­machine.
Nous avons ainsi montré, à l’aide de simulations
numériques et d’enregistrements de l’activité céré­
brale, qu’il est possible d’atteindre des taux de clas­
sification de 80 % ou plus, sans qu’il y ait en réalité
de différence entre les classes !
Ces résultats, et le rappel de la bonne conduite sta­
tistique qui permet d’éviter des interprétations er­
ronées, agitent un drapeau rouge. En particulier, je
pense que les méthodes de décodage neuronal qui
s’appuient sur l’entraînement d’un algorithme de
classification sur une partie des données et l’évalua­
tion de sa performance sur le reste des données (par
exemple, la validation croisée) peuvent créer chez
les étudiants ou chercheurs fraîchement embar­
qués sur une étude de décodage cérébral l’impres­
sion d’avoir affaire à un outil qui leur permet de s’af­
franchir d’une évaluation statistique rigoureuse. Il
s’agit là, bien sûr, d’une bêtise qu’il vaudrait mieux
éviter avec enthousiasme !
La croissance exponentielle de la quantité et la
complexité des données auxquelles nous faisons
face aujourd’hui en neurosciences, en neuro­image­
rie et en recherche clinique rendent inévitable le rap­
prochement avec le domaine de l’intelligence artifi­
cielle. Mais on voit bien le problème : c’est typique­
ment dans ces nouveaux croisements entre champs
de recherches qu’émergent aussi des zones grises, où
les règles de bonne conduite sont soit mal établies,
soit pas suffisamment maîtrisées par tous les inter­
venants. Je suis convaincu que, pour bien profiter de
l’apport de la fertilisation croisée entre disciplines de
recherche, une rigueur supplémentaire est deman­
dée afin, au bout du compte, de nous assurer d’ac­
croître nos connaissances au lieu de les polluer par
des observations erronées ou, pis encore, soulever de
faux espoirs chez des populations de patients.
Comme dans tout domaine de recherche haute­
ment spécialisé, le contrôle de l’intégrité et de la va­
lidité des méthodes utilisées en recherche neuro­
scientifique ne peut venir que de l’intérieur. Il en va
donc de notre responsabilité, nous les chercheurs,
vis­à­vis de la société et de nous­mêmes. p
¶
Karim Jerbi
est professeur
au département
de psychologie de
l’université de Montréal.
Le supplément « Science
& médecine » publie
chaque semaine une
tribune libre ouverte au
monde de la recherche.
Si vous souhaitez
soumettre un texte,
prière de l’adresser à
sciences@lemonde.fr