L’ingénierie génétique, un enjeu éthique Les outils de manipulation de l’ADN vont non seulement permettre de modifier l’individu, mais aussi la lignée humaine. PA G E 2 La parole aux patients Claire Compagnon, figure majeure de la défense des droits des malades, vient d’être nommée à l’Inspection générale des affaires sociales. Portrait. PA G E 7 Arduino, le cerveau des objets En dix ans d’existence, ce petit microcontrôleur électronique a conquis le cœur des bidouilleurs. Mais ses pères se déchirent. PA G E 3 Bêteschercheuses Lazoologie esten pleinerévolutionnumérique. Descapteurs denouvellegénération,souventdérivésdeceuxquiéquipentsmartphonesettablettes, révèlentlescomportementsdes animauxdansleurmilieunaturel. Lesdonnéesrecueilliesserévèlentaussiutilesàd’autres disciplines. PAGES 4-5 Aux îles Kerguélen, des scientifiques installent une balise Argos munie de capteurs sur cette femelle éléphant de mer. CHRISTOPHE GUINET/CNRS PHOTOTHÈQUE/CEBC L’effet placebo, ou l’art d’y croire L’ carte blanche Angela Sirigu Neuroscientifique, directrice de recherche Centre de neuroscience cognitive (CNRSuniversité LyonI) (PHOTO: MARC CHAUMEIL) effet placebo consiste à induire une attente positive dont on sait aujourd’hui qu’elle mo difie notre état physiologique et entraîne de réels bénéfices pour la santé. Les médecins connaissent depuis longtemps cet effet et l’utilisent, non sans parfois susciter des questionnements éthi ques: fautil tromper le patient pour le guérir? Peuton sciemment prescrire et faire passer pour mé dicament un produit totalement inerte? Au plan pratique, l’effet placebo constitue la bête noire des firmes pharmaceutiques, car lors d’un essai clinique, souvent très coûteux et démarrant après une phase de développement également coûteuse, l’enjeu n’est pas tant de déterminer si un médicament marche que de savoir combien il sera supérieur à un simple comprimé d’amidon ! Par exemple, on estime qu’un quart des effets thérapeutiques des antidépres seurs est attribué à la rémission spontanée, un autre quart au principe actif, et le reste, c’estàdire la moi tié des bénéfices, résulte de l’effet placebo. Mais comment agit un placebo et y sommesnous tous également sensibles ? Les études qui illustrent le Cahier du « Monde » No 21830 daté Mercredi 25 mars 2015 Ne peut être vendu séparément mieux l’action du placebo sont celles qui démontrent son pouvoir antalgique, mais selon Ted Kaptchuk, de l’université Harvard (Massachusetts), le placebo est aussi un véritable atout dans le traitement de bon nombre d’affections neurologiques ou psychiatri ques. On sait que l’effet placebo est lié à l’activation des récepteurs aux opiacés endogènes, qui ont des pro priétés analgésiques et procurent des sensations de bienêtre. La libération de dopamine cérébrale, cette substance liée à la récompense et à l’anticipation du plaisir, serait l’autre clé pour comprendre l’influence du placebo. L’action de ces deux neuromodulateurs se traduit par une amélioration de l’humeur et de la confiance, créant ainsi un terrain favorable au proces sus de guérison. Croire c’est pouvoir, mais la force de cette confiance dans une amélioration future dépend de la personna lité de l’individu et, dans une certaine mesure, de son bagage génétique. Une personnalité motivée, rési liente, dotée d’une bonne estime de soi et recher chant la nouveauté serait particulièrement suscepti ble de répondre au placebo. Cet effet semble également plus fort chez les individus présentant une variante particulière du gène codant pour la fabrica tion de l’enzyme catecholOmethyltransferase (COMT). Chez les individus concernés, la dégradation de la dopamine par cette enzyme est plus lente, pro longeant ainsi son action. En utilisant la tomographie à émission de positrons, une technique d’imagerie moléculaire, le groupe de JonKar Zubieta de l’université du Michigan a d’ailleurs montré que chez les sujets sensibles à l’effet placebo, il existe une forte corrélation entre la ré ponse du noyau accumbens (une structure cérébrale) à une récompense monétaire – une méthode indi recte permettant de révéler l’activité dopaminergique –, et la quantité de dopamine effectivement libérée pendant un test de sensibilité à la douleur après ad ministration d’un placebo. D’autres mécanismes res tent encore à mettre au jour, mais peutêtre pouvons nous déjà avancer l’hypothèse d’une piste chimique suivie, depuis un siècle et demi, par les pèlerins de Lourdes, sur les pas de Bernadette Soubirou. p 2| 0123 Mercredi 25 mars 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | AC T UA L I T É Lesvertigesdugénome humainreforgé | Alors que certains laboratoires semblentprêtsà modifier l’ADN denos cellules sexuelles, des chercheurs américainsréclament un moratoire sur ces pratiques –facilitées par unpuissant outil de chirurgie des gènes génétique C’ florence rosier est une histoire qui se répète, à quarante ans d’écart. Une histoire d’éthique et de géné tique, qui réactive un scéna rio où l’homme s’érigerait en démiurge. Il y a quarante ans, c’était encore de la sciencefiction. Mais, depuis trois ans, un puissant outil de «chirurgie des génomes » ouvre de vertigineuses perspecti ves: oseronsnous, demain, refaçonner notre propre hérédité ? Malgré son nom barbare – CRISPRCas9 –, ce «kit de construction» de l’ADN rencontre un succès planétaire. «C’est un fantastique outil de recherche qui améliore nos connaissances sur les maladies humaines», relève le professeur Alain Fischer, qui dirige l’institut Imagine spécialisé dans les maladies génétiques, à l’hôpital Necker (Paris). Mais son dévoiement pourrait ressusci ter les spectres de l’eugénisme et du transhuma nisme. Aux EtatsUnis, au RoyaumeUni ou en Chine, certaines équipes auraient déjà franchi le Rubicon en s’attaquant à ce défi: modifier le gé nome de nos propres cellules « germinales » – nos cellules sexuelles, spermatozoïdes ou ovu les. Ces pratiques ont été révélées le 5 mars par le journal du Massachusetts Institute of Techno logy (MIT). Signée par Antonio Regalado, une enquête au titre provocateur, « L’ingénierie du bébé parfait », a fait l’effet d’une minibombe. En réaction, des chercheurs américains ont publié, les 12 et 19 mars, deux mises en garde dans les revues Nature et Science. La première évoque la nécessité d’un « moratoire volon taire» des chercheurs du domaine, avec ce titre: «Ne modifions pas le génome des cellules ger « Ce n’est pas parce que quelques hurluberlus jouent aux apprentis sorciers qu’il faut jeter l’opprobre sur cet outil révolutionnaire qu’est CRISPRCas9 » alain fischer professeur au Collège de France minales humaines ». « Il faut suivre une voie prudente avant de manipuler le génome des cellules germinales», ont renchéri les dixhuit auteurs de l’article de Science. Ses deux pre miers signataires sont les Prix Nobel David Bal timore et Paul Berg. Si l’histoire se répète, c’est que ces alertes font écho à la mémorable conférence d’Asilomar, or Image de synthèse présentant le complexe CRISPRCas9, nouvel instrument d’ingénierie génétique. FENG ZHANG/MCGOVERN INSTITUTE FOR BRAIN RESEARCH ganisée en 1975 par ce même Paul Berg. A l’ère des balbutiements du génie génétique, il s’agis sait déjà de réfléchir à ses risques. En juin 2014, la Française Emmanuelle Char pentier, coinventrice de l’outil CRISPRCas9, déclarait dans nos colonnes: «Cette technique fonctionne si bien et rencontre un tel succès qu’il serait important d’évaluer les aspects éthiques de son utilisation.» (Le Monde du 11 juin 2014.) «Je souscris entièrement aux alertes actuelles», assure Alain Fischer, professeur au Collège de France. S’il s’agissait de modifier le génome d’un enfant à naître, ditil, on ne pourrait pas lui de mander son consentement éclairé – encore moins celui de ses descendants. Ce serait con traire aux droits fondamentaux des patients. «Je pense qu’il ne faut pas le faire, ni aujourd’hui ni demain. Ce serait une grave rupture éthique.» Ce débat est très nordaméricain, relèvetil. En France et dans de nombreux pays d’Europe, manipuler le génome des cellules germinales humaines est formellement interdit dans le ca dre de la procréation médicalement assistée. «Et nous ne sommes pas près de nous engager làdedans ! Il est vrai qu’aux EtatsUnis la régle mentation est plus floue : on assiste à des choses un peu délirantes.» Un des exemples révélés par le journal du MIT: Luhan Yang, une jeune postdoctorante qui travaille dans le laboratoire de George Church, chercheur renommé de l’université Harvard (Massachusetts), confie au journaliste son éton nant projet. Il s’agirait d’obtenir les ovaires d’une femme opérée pour un cancer. Puis d’en extraire les ovocytes (cellules germinales femel les) immatures. Ensuite, de les multiplier in vitro, puis d’utiliser CRISPRCas9 pour corriger la mutation du gène BRCA1 responsable de ce cancer. Quelques jours plus tard, cependant, George Church qualifie ce canevas de «nonpro jet». Parce qu’il est annulé ? Poursuivi en toute discrétion ? En attente de publication ? A l’évidence, George Church manie l’art de l’esquive, mais aussi celui de la provocation. A des réunions de groupes transhumanistes, il explique le potentiel de CRISPRCas9 contre les maladies cardiaques ou celle d’Alzheimer. Il a aussi évoqué la possibilité de cloner l’homme de Néandertal, dont le génome est connu. Mais il figure parmi les cosignataires de l’article dans «L’homme s’autoriseratil à toucher à son hérédité?» P hilippe Kourilsky, profes seur honoraire au Collège de France, a participé il y a quarante ans à la conférence d’Asilomar, qui avait proposé un moratoire sur certaines techni ques de génie génétique. En 1975, vous assistiez à la conférence d’Asilomar (Cali fornie). Quel était le contexte ? Une étudiante du laboratoire de Paul Berg, en Californie, avait fabriqué un plasmide [une molécule d’ADN] contenant un gène d’un virus, SV40, qui peut provoquer des cancers. Au mo ment d’injecter ce plasmide dans une bactérie, elle a sus pendu son geste : «Et si je dissé minais le cancer ?» De là est né Asilomar. Paul Berg [futur No bel de Chimie] a décidé de re noncer à cette expérience. Le comité qu’il animait, à l’Acadé mie des sciences américaine, a réclamé un moratoire sur les expériences de génie généti que: une démarche d’autocen sure scientifique jusqu’alors inédite. Il s’agissait aussi de persua der le Sénat américain que les chercheurs pouvaient s’auto gouverner… Qu’estil ressorti d’Asilomar ? En 1975, Paul Berg réunit en Cali fornie 140 scientifiques de tous pays ainsi que des juristes, méde cins et journalistes. Après des dé bats agités et contradictoires, un quasi consensus a été adopté. Il est vrai que les participants avaient tous un avion à prendre ! Cet accord autorisait la levée du moratoire, sauf pour les expérien ces jugées plus risquées pour la santé humaine. Après quatrecinq ans, on n’a pas détecté de risque particulier. Des comités de suivi ont été mis en place. Ensuite, les choses ont divergé pour les appli cations en santé ou en agriculture. On a reproché à Asilomar d’avoir mis de côté les questions éthiques. L’éventualité de «manipuler l’homme» semblait lointaine. Par la suite, le débat éthique a été re lancé par deux avancées scientifi ques majeures : le développement des souris transgéniques, dans les années 1980, et le séquençage du génome humain, de 1998 à 2002. Ces annéeslà, quelques «ayatol lahs» ont même voulu interdire le séquençage du génome hu main, au motif qu’on risquait de trouver des choses qu’il serait dangereux d’exploiter ! Que vous inspire le moratoire actuel réclamé par des cher cheurs nordaméricains ? C’est un peu le « rappel des ré servistes » ! Les deux premiers auteurs de la mise en garde dans Science sont David Baltimore et Paul Berg, coorganisateurs d’Asi lomar. Le débat est réactivé par l’arrivée d’un outil très précis de chirurgie du gène, CRISPRCas9. Mais il n’est pas neuf : voilà sept huit ans, on avait déjà des moyens – moins faciles – de ma nipuler le génome des cellules germinales humaines. Quant à faire un moratoire sur ces mani pulations, cela n’a aucun sens dans les pays qui l’ont déjà inter dit, comme la France ! Les interrogations actuelles sontelles si différentes de celles d’Asilomar ? Pas vraiment. Il faut faire un dis tinguo entre les modalités et les principes. Aujourd’hui, manipuler le génome humain des cellules germinales serait prématuré: ces techniques ne sont pas assez sû res. Elles peuvent introduire des modifications hors de la cible vi sée. Chez l’animal, si on les appli que à un œuf juste fécondé, on peut produire des individus «chi mères»: seules certaines de leurs cellules portent les modifications souhaitées. Troisième risque: on corrige quelque chose sans con naître tous les effets de cette cor rection, car les êtres vivants sont des systèmes hypercomplexes. Mais on peut parier que ces tech niques deviendront de plus en plus sûres. Que feronsnous alors ? L’homme s’autoriseratil à tou cher à sa propre hérédité ? Le code civil l’interdit en France. Oui, mais avoir un a priori entiè rement négatif sur ces questions n’est pas si facile à défendre. Sous quel motif allonsnous interdire ou tolérer la moindre modifica tion de notre patrimoine hérédi taire? Par exemple, nous n’hésite rions pas une minute face à une situation d’irradiation majeure menaçant notre survie. Par ailleurs, il existe aux EtatsUnis un courant « transhumaniste » assez fort, quasi inexistant en France. Dans le cadre de ce mouvement, certains chercheurs irontils jus qu’à cibler certains gènes propices à une vie plus longue ? p propos recueillis par fl. r. Science, appelant à la plus grande prudence sur ces pratiques… «Ce n’est pas parce que quelques hurluberlus jouent aux apprentis sorciers qu’il faut jeter l’op probre sur cet outil révolutionnaire qu’est CRISPR Cas9», s’insurge Alain Fischer. Car cet outil pour rait constituer un progrès pour la thérapie géni que des cellules somatiques – toutes les cellules du corps, à l’exception des cellules germinales. Aucun risque, en corrigeant leur génome, de transmettre ces modifications à la descendance des patients traités. D’où un espoir médical légi time pour guérir certaines maladies héréditaires du sang, mais aussi des cancers ou le sida…. «La thérapie génique germinale ne traite pas seulement une personne : elle affecte toute sa descendance. C’est pourquoi elle devrait faire l’objet d’un moratoire et d’une réflexion au ni veau international», estime Jean Claude Amei sen, président du Comité consultatif national d’éthique. Il rappelle qu’avec le remplacement des mitochondries dans l’ovule de la future mère, un traitement autorisé depuis février par le Parlement britannique, l’humanité est déjà entrée dans une forme de thérapie germinale. Mais les subtilités de la bioéthique ne sont pas toujours faciles à appréhender. En témoignent les interprétations divergentes de la loi par les chercheurs que nous avons interrogés. En France, à de strictes fins de recherche, la mani pulation du génome des cellules germinales humaines estelle ou non autorisée ? Non, sem ble trancher le code civil, dans son article 164 modifié par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. « Le code civil se place ici dans une perspective évolutive : il s’agit de protéger le gé nome de notre espèce. Mais l’interprétation com binée des différents articles de loi laisse planer une ambiguïté », reconnaît Emmanuelle Rial Sebbag, spécialiste de bioéthique à l’Inserm. Comme vingthuit autres pays d’Europe, la France a ratifié, fin 2011, la convention d’Oviedo. Celleci stipule notamment : « Une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons pré ventives, diagnostiques ou thérapeutiques, et seu lement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance. » La distinction entre cellules somatiques et cel lules germinales pourrait cependant devenir obsolète. « La biologie cellulaire est en train d’ef facer ces frontières», note Jean Claude Ameisen. Car les chercheurs peuvent désormais obtenir des « cellules souches » (dites « iPS ») à partir de cellules somatiques adultes, par exemple de la peau. Et de ces cellules souches, ils peuvent en suite « dériver » des cellules sexuelles. «Il fau dra sans doute une quinzaine d’années avant que l’on obtienne des gamètes humains à partir de cellules iPS », souligne Gabriel Livera (Inserm CEA). Mais ensuite ? Si l’on y parvient, on pourra modifier le patrimoine génétique des cellules iPS – c’est autorisé –, puis en dériver des gamè tes porteurs des modifications recherchées. Le mythe prométhéen est bel et bien à portée de main. Il est vraiment temps d’y réfléchir. p AC T UA L I T É | SCIENCE & MÉDECINE | 0123 Mercredi 25 mars 2015 |3 télescope Arduino,cerveauàtoutfaire Mathématiques Découverte du plus petit carré magique de cubes | Ce microcontrôleur, roi des systèmes ouverts plébiscité par les « bidouilleurs» pourcommander des robots, des caméras, des systèmes domotiques, fêteses 10 ans informatique L david larousserie e roi de la microélec tronique, c’est lui, Ar duino. Pas seulement parce qu’il tire son nom d’un souverain italien du XIe siècle de la région du Piémont actuel, mais parce qu’il a envahi en tout juste dix ans les lieux à la mode de la bidouille et du fait maison, les « fablabs » et autres « hackerspa ces». Arduino est en effet le nom de l’entreprise qui développe, fa brique et commercialise des car tes électroniques ou microcon trôleurs, particulièrement sim ples et peu chers (20 euros environ) et qui sont les « cer veaux» indispensables à bien des bricolages. Les microcontrôleurs sont om niprésents au quotidien. Sans eux, pas de programma tion d’une machine à la ver, d’un four, d’une ca fetière, d’un thermo stat… Ce sont de petits cerveaux électroniques, bien moins puissants qu’un ordinateur mais qui exécutent à merveille et sans trop consommer les ordres reçus. «Arduino donne vie aux ob jets », résume Emmanuelle Roux, codirigeante de Zbis, sorte de fablab, à La Rochesur Yon (Vendée), qui propose des stages d’initiation à cette petite machine. Les exemples de ces naissances ne manquent pas : ro bots plus ou moins humanoïdes, drones, caméras de surveillance, éclairages intelligents, impriman tes 3D, effets spéciaux pour musi ciens, potagers d’appartement, prothèses de main, babyfoot qui tweetent les résultats des par ties… Le 28 mars, plus de 200 évé nements dans le monde célébre ront l’Arduino Day. «Ce n’est pas compliqué, et on peut faire des projets complexes», note Mickaël Postolovic, ingénieur en informa tique qui animera la journée à la cyberbase de Gaillac (Tarn). « L’entreprise Kickstarter de fi nancement participatif a estimé qu’une centaine de projets repo sant sur Arduino avaient récolté quelque 7 millions de dollars », in dique Massimo Banzi, le plus cé lèbre des cinq fondateurs de cette initiative née dans un bar d’Irvée (Italie). « Dans cette ville, bien des lieux portent le nom du roi Ar duino. Y compris le café où nous étions quand nous avons imaginé ce concept », raconte l’enseignant en design, qui professe aujour d’hui à l’université Supsi de Lu gano (Suisse). C’est d’ailleurs pour ses étudiants qu’il a conçu la première carte Arduino afin de faciliter l’initiation à la « pro grammation physique », c’està dire l’interaction entre l’utili sateur et des objets. Depuis, 1,5 million de ces cartes ont été commercialisées. Ce succès vient entre autres du fait qu’elles sont l’un des premiers matériels libres ou open source, un concept bien connu dans le domaine du logiciel. Les plans et les détails techniques sont pu blics, contrairement aux micro contrôleurs classiques. Ils peu vent donc être améliorés, diffusés et copiés sans scrupules (ce qui est le cas). «C’était pour moi évi dent que nous devions opter pour un sys tème ouvert. Pour en seigner, on a besoin de compren dre le fonctionnement des cho ses», rappelle Massimo Banzi. «Il existe un potentiel de développe ment économique pour le maté riel libre. A condition de compren dre qu’on peut être innovant sans « Ce n’est pas compliqué, et on peut faire des projets complexes » mickaël postolovic ingénieur en informatique recourir à des brevets », estime Frédéric Jourdan, cofondateur de Snootlab, une entreprise toulou saine qui commercialise et déve loppe différents produits électro niques open source. Autre particularité des cartes Ar duino, elles sont facilement connectables à leur envi ronnement. Une quin zaine de connexions permettent de bran cher un ensemble de capteurs (température, lumière, son, mouve ment, signal GPS…) et de décider des actions à conduire, comme activer un moteur, un éclairage, un écran… Plusieurs fabricants, tels Sparkfun, Adafruit, Snootlab (à Toulouse) ou Arduino luimême, développent aussi d’autres cartes qui se lient au microcontrôleur pour ajouter des fonctions plus complexes, connexions GSM, WiFi, radio… L’avenir est d’ailleurs aux objets connectés. En outre, Arduino n’est pas seu lement du matériel, c’est aussi un langage de programmation sim ple, inspiré du C ++, qui permet d’écrire des programmes sur n’importe quel ordinateur (Win dows, Mac OSX, GNU/Linux) puis de les « téléverser » sur la carte afin d’être exécutés. « La vraie puissance d’Arduino, c’est sa communauté », ajoute tout de même Emmanuelle Roux, qui souligne l’importance des forums, blogs, et divers lieux où les utilisateurs partagent leurs idées et s’entraident. Pour l’instant, aucun autre système ne possède l’ensemble de ces carac téristiques. Rançon du succès, fin 2014, le noyau de fondateurs s’est fissuré et deux procès en propriété intel lectuelle sont en cours. Il existe désormais deux entre prises portant le même nom, ainsi que deux sites Web (Ar duino.cc, l’original, et Ar duino.org, le nouveau venu), et peutêtre bientôt deux versions des programmes et des futures cartes… p Le mathématicien français Sébastien Miquel vient de rendre public le plus petit carré magique de cubes connu à ce jour. Ce carré de 7 par 7, dont la somme des membres des lignes et des co lonnes, mais aussi des deux diagonales, a pour résultat unique 616 617. Pour l’obtenir, cet étudiant à l’ENS Paris a fait tourner sur un PC un pro gramme écrit en Rust, de sep tembre 2014 à février 2015. > www.multimagie.com Santé Le nombre de séropositifs ne baisse pas En France, 6220personnes ont découvert leur séropositivité au VIH en 2013, selon les don nées du Bulletin épidémiologi que hebdomadaire publié le 24 mars par l’Institut national de veille sanitaire (InVS). Un chiffre stable depuis 2007. Malgré le nombre croissant de diagnostics précoces, les dia gnostics tardifs concernent en core 1 homme sur 6 ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes (HSH), et 1 hétéro sexuel sur 3, pointe l’InVS, qui insiste sur la nécessité de mieux cibler les HSH de moins de 25 ans dans les campagnes de prévention. Rover équipé d’un système Arduino. ROBOT SHOP Lesvirusde ladiscorde Aux EtatsUnis, les scientifiques se déchirent face audéveloppementenlaboratoiredevirusgrippauxdangereux que, organisée en décembre par l’Académie des sciences améri caine, avait permis aux deux camps de s’exprimer largement et dans une atmosphère cour toise. Y étaient invités tant les op posants déterminés à ces tra vaux, tels que Marc Lipsitch, de l’école de santé publique de Har vard, que les pionniers de ces re cherches, comme Yoshihiro Kawaoka, de l’université du Wis consin, ou Ron Fouchier, de l’uni versité Erasmus de Rotterdam, qui a créé des virus aviaires mu tants rendus transmissibles par voie aérienne chez le furet, un modèle animal proche de l’homme. Conflit d’intérêts Pour le professeur Fouchier, «ce fut une réunion constructive, dont on ne pouvait évidemment s’atten dre à ce qu’elle débouche sur un consensus ». Il estime qu’elle a bien rempli sa fonction d’infor mer le National Science Advisory Board for Biosecurity (NSABB), le comité chargé de définir les nou velles règles qui verront le jour à l’issue du moratoire. Mais dans une lettre adressée fin février au président du NSABB, les opposants n’ont pas caché leur déception. « Nous avions espéré une discussion plus complète et plus largement représentative scientifiquement», écrivent ainsi Richard Roberts, Prix Nobel de Médecine 1993, et David Relman, professeur à l’université Stanford. Surtout, ils jugent que depuis lors s’est ouverte une période opaque, marquée par des auditions et des réunions à huis clos ne permet tant pas de savoir où en était le processus de décision. Dans cette lettre au vitriol, les deux scientifiques soulignent un conflit d’intérêts constituant une sorte de péché originel de ce débat. C’est en effet le NIH qui a recruté et supervise le NSABB. Le NIH est pourtant le principal financeur des recherches controversées –il apparaîtrait donc inévitablement comme désavoué si le NSABB était amené à restreindre ces travaux. La décision du NIH de confier à une petite structure privée sans ré férences particulières le soin de mener rapidement l’analyse béné ficerisque, et sans avoir mis en discussion la méthodologie à em ployer, avive aux yeux des oppo sants la crainte d’une décision prise d’avance. Car cette analyse bénéficerisque –qu’il faut enten dre comme une évaluation proba biliste et statistique chiffrée, avec éventuellement un volet moné taire– est redoutablement com plexe. M. Lipsitch et M. Fouchier ont chacun publié leur estimation du risque dans la revue mBio, le premier trouvant un risque de l’or dre de 0,01% par laboratoire et par an (ce qui représente un taux énorme) et le second, une valeur négligeable… Pour Marc Lipsitch, tout cela «risque de donner au consultant des signaux implicites voire expli cites sur le résultat de l’analyse qu’espère le NIH». Or il faut beau coup de courage à un consultant en biologie ou en médecine aux EtatsUnis pour se mettre à dos le richissime et puissant National Institute of Health… p yves sciama « La vie est une histoire dite par un idiot, pleine de fracas et de furie, et qui ne signifie rien » La tragédie la plus célèbre de Shakespeare Macbeth-Volume 2 En vente dès le mercredi chez votre marchand de journaux 9 € ,99 présente Les œuvres complètes de Shakespeare dans une édition de référence, préfacée par Victor Hugo et traduite par son fils, François-Victor Hugo visuel non contractuel RCS B 533 671 095 L a tension vient de monter d’un cran dans le débat or ganisé outreAtlantique sur le bienfondé des «Frankenvirus», ces virus grip paux à la fois mortels et conta gieux développés à des fins de re cherche par certains scientifiques américains et européens. Le Na tional Institute of Health (NIH), principal financeur de la recher che biomédicale américaine, a en effet confié le 11 mars à Gryphon Scientific, un petit cabinet de con sultants spécialisé en biosécurité, la charge de produire une analyse bénéficerisque de ces expérien ces, dans des conditions qui susci tent de vives critiques des oppo sants à ces travaux. La question posée est la sui vante: les expériences adaptant à l’homme des virus aviaires aide rontelles à prévenir de futures pandémies, ou au contraire ne précipiterontelles pas la catastro phe, les risques de fuite n’étant pas maîtrisés? L’instauration d’un moratoire d’environ un an (le temps d’orga niser un «débat ouvert») sur ces recherches controversées, le 17 oc tobre 2014 par la Maison Blanche, avait été vécue par ces opposants comme une divine surprise, tant les autorités scientifiques améri caines semblaient juger négligea ble, depuis des années, le risque de pandémie générée par un acci dent ou un acte de malveillance impliquant ces virus. Des oppo sants qui espéraient enfin voir ad venir une vaste consultation de toutes les parties intéressées. Ils ont peu à peu déchanté. Une première conférence publi TOUT LE MONDE EST DANS SHAKESPEARE TOUT SHAKESPEARE EST DANS 0123 www.LeMonde-Shakespeare.fr 4| 0123 Mercredi 25 mars 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | ÉVÉNEMENT Biologging Dans lesecret desanimaux éthologie Des techniques de balisage de plus en plus sophistiquées permettent aux scientifiques d’appréhender l’intimité des bêtes sauvages C marion spée omment les baleines chassentelles les cal mars ? Comment les oies à tête barrée par viennentelles à survo ler l’Himalaya dans un air à l’oxygène raréfié? Où vont les grands re quins blancs lorsqu’ils ne sont pas près des côtes? Comment les méduses for mentelles des agrégations de plusieurs milliers d’individus ? A poils, à écailles ou à plumes, les animaux ont une vie cachée que les scientifiques ont toujours voulu percer. Mais avant de répondre à ces ques tions, si difficiles soientelles, il a fallu réussir à observer les animaux en liberté dans leur milieu. Et le problème avec ces animaux sauvages, c’est qu’ils ont colo nisé des coins et recoins où l’homme peut difficilement les suivre : le fond des océans, l’extrême altitude, la cime des ar bres au cœur de la forêt primaire… Pour mieux les connaître, les zoologistes ont recours à des appareils électroniques mi niaturisés qu’ils attachent de manière temporaire sur les animaux, des «appa reils embarqués », dans le jargon scientifi que, qui leur permettent de garder un œil sur leurs sujets préférés tout en restant à distance sans les déranger. D’abord, on compte les appareils ou ba lises capables de transmettre en temps réel, grâce à une antenne, les informa tions par ondes radio ou encore via des satellites. C’est la biotélémétrie. Ces bali ses sont surtout utilisées pour connaître la position et les déplacements des ani maux. «C’est un peu comme si on donnait un téléphone aux animaux pour qu’ils nous appellent régulièrement et nous di sent où ils se trouvent», explique Sabrina Fossette, chercheuse en biologie marine à l’université d’AustralieOccidentale (Perth, Australie). Un bémol tout de même. «On est limités par le nombre de données transmises, elles sont donc peu précises», temporise la chercheuse. Par exemple, pour savoir à quoi ressemblent les plongées d’un animal marin avec ces balises, on ne peut souvent recevoir que des résumés donnant la profondeur maximale et la durée de la plongée. Pour obtenir une résolution plus fine, il faut utiliser des enregistreurs qui re cueillent des données plus précises. Leur principe n’est pas de transmettre mais de capter, mesurer et garder en mémoire tous les faits et gestes de l’hôte. Gardons l’exemple des plongées : les appareils permettent de connaître l’effort de nage (en mesurant la fréquence de battement des nageoires), le taux de captures de proie (en utilisant un capteur d’ouverture « C’est comme si on donnait un téléphone aux animaux pour qu’ils nous appellent régulièrement et nous disent où ils se trouvent » sabrina fossette chercheuse en biologie marine de bec), la profondeur de la plongée (grâce à un capteur de pression). Citons encore l’accélération de l’animal pendant ses mouvements (avec un accéléromètre) ou sa fréquence cardiaque. « Ils sont un peu le “journal intime” d’un animal, en nous permettant de savoir ce qu’ils font dans leur vie quotidienne avec une résolution parfois inférieure à la se conde », confie Sabrina Fossette. Et ce qu’ils rapportent est parfois étonnant. Ainsi, en évaluant les variations de pro fondeurs atteintes par des éléphants de mer pendant leur sommeil, alors qu’ils se laissent dériver dans l’eau, les scienti fiques sont parvenus à estimer leur flot tabilité et donc leur teneur en gras. Si l’animal est maigre, il coule, alors que s’il est gras, il a tendance à moins couler, voire à remonter. L’utilisation d’appareils enregistreurs, dans lesquels sont incorporés plus ou moins de capteurs, c’est la technique du biologging. Un terme inventé lors du premier congrès international sur le su jet, au Japon, en 2003. «Cela vient du mot log, qui désigne le carnet de bord des ma rins sur lequel ils notaient tout pour ne rien oublier », précise Yan RopertCou dert, à l’origine de l’appellation et cher cheur à l’Institut pluridisciplinaire Hu bertCurien (IPHC, université de Stras bourgCNRS). L’avantage indéniable de ces appareils est la résolution avec laquelle ils enregis trent les données. Mais le revers de la médaille, c’est qu’il faut recapturer l’ani mal pour y avoir accès. C’est assez aisé quand il revient se reproduire au même endroit à intervalles réguliers, ça l’est beaucoup moins quand il s’agit par exemple d’une tortue luth mâle qui passe son temps en mer sans jamais re venir à terre. «On ne peut pas encore en registrer des données précises et toutes les transmettre, mais c’est une affaire qui évolue », relève Yan RopertCoudert. Il existe par exemple des enregistreurs transmetteurs intelligents, qui compres sent les données et en envoient un ré sumé, tout en gardant en mémoire les données précises en cas de recapture. C’est le milieu marin qui a bénéficié des avancées les plus spectaculaires du bio logging: une résolution temporelle des appareils de plus en plus fine, un type et un nombre grandissant de capteurs pour étudier chaque animal (vitesse, position, C’ Manchot royal équipé d’un enregistreur de pression, de température et de vitesse, dans l’archipel des Crozet (océan Indien). ONÉSIME PRUD’HOMME température…), et une augmentation de leur sensibilité. La quasiimpossibilité d’observer les animaux marins dans leur milieu naturel étant le principal moteur. En milieu terrestre, c’est davantage la biotélémétrie qui a fait son chemin. «Aujourd’hui, les deux mondes voient que les échanges sont possibles», note Yan Ro pertCoudert, qui a coorganisé le 5e con grès international de biologging à Stras bourg, en septembre 2014. La miniaturisation des appareils au fil du temps a permis d’équiper un large pa nel d’animaux évoluant sur terre, sous l’eau ou dans les airs, du cafard à la ba leine bleue en passant par les passe reaux. Ces systèmes embarqués sont de sérieux atouts pour étudier l’adaptation des animaux aux changements climati ques, pour leur conservation et protec tion immédiate, mais aussi pour répon dre à des questions scientifiques plus fondamentales, comme par exemple dé terminer la quantité d’énergie qu’un ani mal peut allouer aux soins parentaux par rapport à sa propre survie. Parfois même, on a accès à un « instantané » complet de la vie de l’animal, avec no tamment l’utilisation de capteurs de son, de mouvements en 3D et d’images. «On voit alors l’animal bouger, on entend ce qu’il entend et on voit ce qu’il voit. On est dans sa peau, et mieux encore, on dispose de données à quantifier et à analyser », s’enthousiasme Sabrina Fossette. « Mais il ne faut pas être naïf, équiper un animal, c’est le déranger, résume la cher cheuse. L’idée est sans cesse de trouver le bon équilibre entre l’impact à court et moyen terme que l’on a sur un animal et l’importance des données récoltées, qui peuvent se révéler essentielles à la survie Une application multidiscipline est une constatation, «le nombre de disciplines inté ressées par le biologging est de plus en plus important», dit le biologiste Yan RopertCoudert. En témoignent notamment les interve nants présents lors du dernier con grès international sur le sujet, qu’il a coorganisé en septembre 2014 à Strasbourg. «Ça va aujourd’hui bien plus loin que l’étude des animaux sauvages dans leur milieu naturel.» La technique attire, pose de nouvel les questions et donne de nouveaux moyens pour y répondre. «La mesure de la pression san guine lors d’une plongée à grande profondeur intrigue les physiologis tes purs, tandis que le mouvement des mains de patients comme éven tuels indicateurs du développement d’une maladie neurodégénérative intéresse les médecins», énumère le chercheur. Pourquoi ce nageur estil le meilleur? Son mouvement, son accélération sontils plus fins que ceux des autres? Et voilà que le monde du sport aussi porte atten tion au biologging. Citons égale ment les éthologues, qui voient dans cette technique un moyen d’explorer différemment la structure des grou pes sociaux et les interactions socia les entre individus. «Même les bota nistes s’intéressent au biologging», s’enthousiasme Yan RopertCoudert. Une des idées étant de reconstruire l’écosystème thermique d’un arbre en équipant chaque feuille d’un cap teur de température. Eléphants, ecstasy et cafards Comme pour aller toujours plus loin, le biologging, en particulier la mesure de micromouvements, servi rait à accéder à l’état interne sans avoir à percer la peau. «C’est ce que nous avons mis en évidence chez des éléphants d’Afrique, des consomma teurs d’ecstasy et des cafards», assure Rory Wilson, professeur à l’université de Swansea (Pays de Galles), dans une étude parue dans la revue Fron tiers in Ecology and the Environment en décembre 2014. Pour en arriver là, des individus des trois espèces ont été équipés d’accélé romètres. Ces appareils miniaturisés sont largement utilisés pour étudier l’écologie des animaux sauvages dans leur milieu naturel. Ils mesurent l’ac célération triaxiale de l’hôte, autre ment dit ses mouvements fins dans les trois dimensions. «Là, ils ont été déployés pour révéler des processus in ternes», précise le professeur. Et les résultats sont intrigants. Les éléphants marchent différemment selon que leur but est plaisant (bain de boue ou nourriture) ou désagréa ble (quand l’éléphant est chassé par un individu dominant). «Des diffé rences évidemment non visibles à l’œil nu, mais mises en avant par la techni que», souligne le biologiste. Il en va de même pour les consommateurs d’ecstasy: les anciens et récents dro gués tremblent, alors que ce n’est pas le cas des nonadeptes. Quant aux ca fards, la course des individus rendus malades les trahit par rapport à celle des insectes sains. «Du biologging pour signaler l’état émotionnel des éléphants, l’état chimique des hu mains, et l’état de santé des cafards», conclut Rory Wilson. Quoi d’autre ? p ma. sp. ÉVÉNEMENT | SCIENCE & MÉDECINE | 0123 Mercredi 25 mars 2015 |5 Ce kéa, perroquet endémique de NouvelleZélande, porte un radio transmetteur qui fournit des données télémétriques. TUI DE ROY/MINDEN PICTURES/BIOSPHOTO Méduse à crinière de lion dans la baie de Dublin. Elle est équipée d’un tag acoustique permettant de suivre ses déplacements. DAMIEN HABERLIN/CMRC La balise Argos sert à étudier « Chelonia mydas », une tortue verte du sud de Mayotte. JEAN CASSOU/NATURIMAGES à long terme de son espèce. » Depuis le dé but du développement des appareils em barqués, le but est de les rendre plus pe tits, plus légers, plus aéro ou hydrody namiques, mais aussi de penser à leur couleur et à leur position sur l’animal. Ces critères importent et font l’objet de nombreuses recherches visant à dimi nuer l’impact de l’appareillage. Concernant le poids, par exemple, il ne doit pas excéder 3 % à 5 % de celui de l’hôte. «Pour les animaux volants, on est plus exigeant, la barre des 3% ne doit pas être dépassée. Pour les animaux terrestres on est plus large, 4%5% sont tolérables», souligne Francis Crenner, ingénieur de recherche à l’IPHCStrasbourg. «Certains animaux étant plus sensibles que d’autres, c’est même du cas par cas», précise Rory Wilson, professeur à l’université de Swan sea (Pays de Galles). Les effets peuvent concerner la vitesse de nage ou encore le temps passé à rechercher de la nourriture chez les animaux marins. Mais aucun animal équipé n’est mort à la suite de la pose ou du port d’un appareil. «On a énormément bénéficié des tech nologies issues des smartphones et des ta blettes, confie Dominique Filippi, direc teur recherche et développement de Sex tant Technology Ltd (NouvelleZélande), qui pense notamment aux accéléromè tres présents dans les smartphones et qui permettent aux images sur l’écran de changer d’orientation quand on tourne le téléphone. Leur prix est divisé par 100.» Comme si la soif des consommateurs pour les gadgets intelligents avait eu un impact positif sur la zoologie, en permet tant la miniaturisation des composants et en diminuant leur prix. Un enregis treur composé de plusieurs capteurs coû tant tout de même entre des centaines et des milliers d’euros. «Du point de vue de l’électronicien, la principale contrainte c’est la consomma tion d’énergie, avoue cependant Francis Crenner, la plus grosse partie de la masse de l’enregistreur étant liée à l’énergie em barquée, autrement dit la batterie.» Pour lui, la mise au point d’un enregistreur est régie par un compromis perpétuel entre sa fonctionnalité et ses dimensions. Avec son équipe, l’ingénieur à mis au point un appareil ultraléger (le LUL, pour ultralight logger). «Parmi les systèmes capables d’en registrer des données physiques dans une mémoire pendant une grande durée, le LUL est actuellement le plus petit enregis treur du monde», ajouteil, excluant ainsi de la comparaison les capteurs placés sur les abeilles en Australie en 2014. Avec ses 2grammes, le LUL est capable d’enregis trer la pression –de quoi informer sur l’al titude ou la profondeur–, ainsi que la température et la lumière. «En program mant des enregistrements toutes les se condes, il peut fonctionner pendant huit à neuf mois, et plus longtemps si la fré quence est réglée à toutes les minutes ou toutes les heures», spécifie l’ingénieur. «On pense souvent que le plus gros pro blème est de mettre au point des appareils capables d’enregistrer ce qu’on veut. Mais aujourd’hui, ce qui freine nos capacités d’innovation, c’est la nécessité de créer un appareil qui ne va pas gêner l’animal à Outre le poids, il faut penser à la couleur de l’appareil et au meilleur endroit où le placer sur l’animal afin de limiter les contraintes long terme», note Rory Wilson. Tenter de réduire l’impact d’un équipement sur un animal donné est en fait une étude en ellemême. A l’image des travaux de Syl vie Vandenabeele, postdoctorante à l’uni versité de Kiel (Allemagne), qui tente de créer une nouvelle manière d’équiper les oiseaux sur une longue période en mini misant l’impact causé. L’idée est de ne pas avoir recours au tra ditionnel adhésif fixant l’appareil sur les plumes, celuici se détachant quand les oiseaux muent. «Il existe des harnais sur lesquels on peut attacher des équipements à long terme. Ils sont faits en cuir ou en Te flon, des matériaux résistants mais suscep tibles de provoquer des blessures à l’oiseau qui les porte», explique la scientifique. Elle a ainsi mis au point un harnais à base de silicone à placer sous les plumes. Elasti que, pouvant prendre n’importe quelle forme, il s’adapte au changement de poids annuel des oiseaux. «Nous sommes en train de faire des tests sur les animaux sau vages», ajoutetelle, ceux effectués sur les animaux captifs ayant été convaincants. La question posée par le scientifique va dans la majorité des cas guider le choix des capteurs à utiliser et leur paramé trage. «Le développement même d’un en registreur et de ses composants est directe ment en rapport avec le problème à résou dre et avec l’espèce sur laquelle il sera déployé», estime Dominique Filippi. C’est une discussion entre le concepteur et le scientifique, pour réduire l’impact sur l’animal tout en en apprenant un maxi mum sur lui. «Tester ses hypothèses, c’est le graal de tous les scientifiques, mais les possibilités offertes par le biologging nous permettent d’ouvrir les yeux encore plus grands », assure Rory Wilson. Il cite l’exemple de paresseux équipés de cap teurs révélant leur répartition dans la jun gle. En incorporant des capteurs de tem pérature, d’humidité ou d’activité, il est possible d’explorer encore plus, sans pour autant modifier la taille de l’appareil em barqué sur l’animal. «Il y a là une question scientifique et, à la clé, la possibilité d’en apprendre plus», résume le professeur. Et après? Pour Rory Wilson, c’est sur tout sur le traitement des données qu’il va falloir se pencher. «On a trop de don nées et on n’a pas les moyens de les analy ser », remarque le biologiste. Audelà d’un retard dans le développement de lo giciels de traitement des données – ils étaient plus ou moins « faits maison » au départ, mais sont maintenant de plus en plus performants et professionnels –, ce sont les ordinateurs qui ne sont pas assez rapides pour faire les analyses. A l’avenir, il faudra des ordinateurs plus rapides mais aussi l’écriture de programmes d’analyse plus performants. «A l’univer sité de Swansea, nous travaillons avec des informaticiens non biologistes qui com prennent notre problème et qui ajustent les programmes et logiciels», se réjouit le professeur. « L’idéal serait d’accéder à un conti nuum, de mettre en commun les données récoltées pour chaque espèce ou chaque biotope, afin de comprendre le fonction nement d’un écosystème dans son en semble ou la vie d’un animal sauvage comme si on était avec lui », conclut Yan RopertCoudert. p De précieux chercheurs malgré eux «O n n’utilise pas les ani maux uniquement pour étudier leur éco logie, assure Christophe Guinet, directeur de recherche au Centre d’études biologiques de Chizé (CNRSuniversité de La Rochelle), dans les DeuxSèvres, et spécia liste de l’écologie des mammifères marins. On en profite pour récolter en même temps des informations sur l’environnement.» Les ani maux marins plongeurs, équipés d’appareils électroniques miniatu risés, se révèlent être des acteurs de premier plan pour recueillir des données de température, de salinité ou encore de fluorescence. C’est l’étape la plus récente dans l’histoire du développement du biologging : faire de l’animal un scientifique malgré lui, un bioin dicateur des changements envi ronnementaux. «Etudier l’écologie et récolter des données océanogra phiques sont indissociables, il y a même une réelle plusvalue à me ner les deux de front», affirme le scientifique. Cette double appro che permet de répondre à des questions à l’interface des deux disciplines, notamment sur la fa çon dont les conditions océano graphiques locales influencent les performances de pêche chez des prédateurs marins. Les phoques polaires, très bons candidats Dans les océans du monde, la plupart des données sont collec tées par des bateaux ou plus ré cemment par des profileurs Argos, des flotteurs dérivants de subsur face qui collectent des données à miprofondeur et remontent régu lièrement à l’air libre pour trans mettre par satellite les profils en registrés. Mais dans les hautes latitudes ou à certaines périodes de l’année, ces méthodes ne sont pas les plus adéquates. «Les ba teaux ne vont pas passer l’hiver au même endroit pour mesurer la sali nité ou la température de l’eau. Quant aux profileurs Argos, ils sont peu utiles dans les océans recou verts de banquise, car ils ne peuvent pas remonter à la surface pour transmettre leurs données quand la glace de mer se forme», explique Christophe Guinet. C’est là qu’interviennent nos scientifiques anonymes. Les pho ques polaires sont de particulière ment bons candidats: ils plongent beaucoup, profondément et cou vrent une zone où peu de données sont récoltées. De surcroît, leur respiration pulmonaire les con traint à revenir périodiquement à la surface pour faire le plein d’oxy gène. «C’est idéal pour référencer les données océanographiques dans l’espace», note le chercheur. Une fois les animaux hors de l’eau, les informations de type pression, température ou salinité, glanées par leurs balises Argos, sont trans mises de manière instantanée aux scientifiques par satellite. «Les données issues des éléphants de mer [plus imposants représentants de la famille des phoques] repré sentent aujourd’hui 98% des profils de température et de salinité asso ciés à la zone de banquise antarcti que», précise le chercheur. Les 2% restant provenant principalement des navires océanographiques. Là où le bât blesse, c’est que les scientifiques récoltaient jusquelà des données visant à répondre à des questions écologiques, et les données océanographiques re cueillies par la même occasion étaient éparpillées parmi les diffé rentes équipes de recherches par tout dans le monde. «Nous avons entrepris de fédérer les chercheurs travaillant sur les animaux marins plongeurs afin de rendre accessi bles ces données sur une plate forme unique, mises au même for mat, validées et corrigées de la même façon, se réjouit Christophe Guinet. Que chacun passe audes sus de ses prérogatives est une belle réussite.» La plateforme, unique en son genre, sera dispo nible courant mai, sous le nom de Mammals Exploring the Ocean Pole to Pole (MEOP). «Plus de 300 000 profils de température et de salinité seront ainsi mis à dis position de la communauté inter nationale », prévient le chercheur. Avis aux amateurs… p ma. sp. 6| 0123 Mercredi 25 mars 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | Traité sur la merde mondialisée Concertoenmiaou majeur le livre Un essai érudit souligne les multiples défis posés par la gestion des excréments hervé morin E lle est en nous, elle nous entoure, nous nourrit et parfois nous tue, in grédient essentiel et tabou «sur le quel l’ordre naturel de la vie est fondé». La merde, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, est aussi un «impensé» de la mondia lisation, nous apprend David WaltnerToews, dans un essai roboratif. L’épidémiologiste et fondateur de l’antenne canadienne de Vétérinaires sans frontières montre sur le sujet une érudition impression nante. Naturaliste, d’abord, quand il nous en traîne en Tanzanie examiner la moindre crotte produite par les grands animaux de la savane auxquels il préfère l’humble mais her culéen bousier. Ce Sisyphe roulant sa boule de crottin est indispensable au recyclage des dé jections. Les Australiens l’ont appris à leurs dépens: depuis cinquante ans, ils tentent d’acclimater des scarabées étrangers sur les pâturages pour éviter qu’ils ne soient stérili sés par les bouses de bovins que les coléoptè res locaux, spécialisés dans les déjections de marsupiaux, ne peuvent décomposer. Biologiste racontant l’évolution des excré ments depuis les origines, chimiste décrivant leurs transmutations intimes, économiste examinant les transferts de matières premiè res entre continents dont leur production par l’élevage intensif témoigne, écologiste dévoi lant leur transit dans différentes strates d’éco systèmes emboîtés, David WaltnerToews se fait aussi linguiste. Il décrit la richesse du vo cabulaire désignant la chose –bien aidé en cela par le traducteur Laurent Bury. Mais ce champ lexical reste pourtant trop pauvre, re grette WaltnerToews, puisqu’il est incapable de réunir sur ce sujet central «l’imagination politique populaire et la conception scientifi que et technique des questions essentielles». C’est que la merde, qui peut véhiculer des maladies, empoisonner terres, rivières et ri vages, constitue désormais, à l’échelle où elle est produite par une humanité urbanisée et les animaux qu’elle élève pour s’en nourrir, un défi majeur. Un de ces «problèmes perni cieux» pour lesquels «il n’existe ni formula tion incontestée ni solution optimale». Un problème auquel la science actuelle, souvent unidimensionnelle, n’est pas adaptée, sou tient WaltnerToews, qui se révèle aussi épis témologue. Face à ce défi apparemment insoluble, on sent le Canadien tenté par une forme de fata lisme malthusien: «Pouvonsnous reculer du bord du précipice vers lequel la surpopulation de la planète nous a poussés?», se demande til, ajoutant «qu’à long terme la santé pour tous signifie l’affliction pour beaucoup». Le dernier chapitre, où des solutions sont avan cées (manger moins de viande, puiser l’éner gie des excréments…), suggère cependant qu’il a encore l’espoir de laisser aux générations fu tures la planète, sinon aussi propre qu’il l’avait trouvée, du moins encore vivable. p Merde… Ce que les excréments nous apprennent sur l’écologie, l’évolution et le développement durable, de David Waltner Toews (Piranha, 256 p., 16,50 €). Livraison Essai «A la rencontre des comètes » C’est le livre indispensable pour tout savoir sur les comètes, replacées au cœur de l’actua lité grâce à la mission européenne Rosetta. Les deux auteurs, astronomes, reviennent sur les premières observations de ces astres er rants, puis sur le rendezvous terrestre et spa tial avec la comète de Halley en 1986. Ils dé taillent la mission Rosetta, y incluant les tout derniers résultats. Ils concluent même sur des comètes hors de notre système solaire. > « A la rencontre des comètes », de James Lequeux et Thérèse Encrenaz (Belin, 146 p., 22,90 €). RENDEZVOUS improbablologie Pierre Barthélémy Journaliste et blogueur Passeurdesciences.blog.lemonde.fr D (PHOTO: MARC CHAUMEIL) ans le grand bestiaire de la littérature scientifique, on trouve nombre d’études tentant de montrer une in fluence de la musique sur les ani maux. Ainsi, la musique aiderait à la croissance du cerveau des poulets –peutêtre avec le fameux Rock’n roll des gallinacés, qui n’a, en revanche, pas fait grandchose pour le cerveau des enfants l’ayant écouté en boucle. Elle calmerait les chiens dans les refu ges. Il faut cependant reconnaître que l’effet est loin d’être général: avec des babouins, des gorilles, des chevaux, des agneaux et même des poissons (mais pas de ratons laveurs), les expé riences menées n’ont donné aucun résultat concluant. Particularités auditives Pour une équipe américaine de trois chercheurs, deux psychologues –Charles Snowdon et Megan Savage, de l’université du Wisconsin – et un musicologue – David Teie, de l’univer sité du Maryland –, cela tient sans doute au fait que les concepteurs de ces expérimentations n’ont pas pris en compte les particularités auditives des animaux: il serait donc vain, comme cela a souvent été le cas, de faire écou ter du Mozart ou du Justin Bieber (ah, non, ça, c’est éthiquement interdit) à des bestioles sensibles à des plages de fréquences et à des rythmes différents de ceux qu’on retrouve dans les musi ques conçues pour Homo sapiens. Dans une étude à paraître dans la revue Applied Animal Behaviour Science, ces chercheurs ont donc testé sur des chats deux morceaux musicaux adaptés à leur système de communication. Comme minou vo calise plus aigu que l’humain, la tes siture des airs en question se situait deux octaves audessus de la moyenne de nos musiques. Dans le premier morceau, intitulé Cozmo’s Air, les chercheurs ont inséré des glissandos évoquant le « miaou » ainsi qu’un discret vrombissement, calé sur la fréquence… du ronronne ment. Dans le second extrait, Rusty’s Ballad, le rythme d’arrièreplan cor respond à celle de la succion du cha ton qui tête. Il comprend également des sortes de sifflements d’oiseaux – on réagira plus à la musique si elle met en appétit. Pensés pour plaire aussi aux humains (avec qui les pe tits félins daignent en général parta ger leur domicile), les airs ressem blent vaguement à de la musique de relaxation. Une fois leurs morceaux en boîte, les chercheurs ont frappé à la porte de 47 chats domestiques âgés de 5 mois à 19ans et installé chez eux deux haut parleurs. L’un diffusait les deux airs miaouesques, l’autre deux extraits de musique humaine (non, pas les Chats sauvages ni les Stray Cats, mais l’Elégie de Fauré et l’Air sur la corde de sol de Bach), afin d’avoir un point de compa raison. Et en avant la zizique! Chaque expérience était filmée pour observer le comportement des chats, compter le nombre de fois où ils tournaient la tête vers tel ou tel hautparleur, se di rigeaient vers lui, le reniflaient, s’y frottaient, ronronnaient ou bien s’ils quittaient la pièce, feulaient, faisaient le gros dos, le poil hérissé… Les résultats sont sans ambiguïté. Fé lix et consorts ont manifesté un intérêt certain pour «leur» musique et sont restés indifférents à Fauré et à Bach. Pour le premier auteur de l’étude, Char les Snowdon, on pourrait très bien imaginer, en cette ère de quête du bien être animal, de diffuser à nos compa gnons à poils, plumes, voire écailles, des morceaux spécialement composés pour eux. «Dans cent ans, anticipetil, il faudra apprendre aux gens qu’à une époque, la musique était réservée aux humains.» A surfer sur la bande FM, on avait pourtant l’impression que ce n’était déjà plus le cas. p COSSIMA PRODUCTIONS Une salamandre géante du temps des dinosaures affaire de logique Ne vous y trompez pas: cette charmante bête occupe « la place d’une petite voiture », dixit Steve Brusatte, le paléontologue écossais à la tête de l’équipe internationale qui rend publi que cette découverte, le 24 mars, dans le Jour nal of Vertebrate Paleontology. Des restes fossi lisés de plusieurs dizaines de ces animaux ont été extraits d’un lac asséché du sud du Portu gal. Après analyse de la forme des membres et de la tête, les scientifiques ont acquis la certi tude qu’il s’agissait d’une nouvelle espèce. Bap tisée Metoposaurus algarvensis («monstre écailleux de l’Algarve») et vieille de quelque 220 millions d’années, elle appartient à un groupe d’amphibiens carnivores présents dans toutes les zones tropicales du supercontinent nommé Pangée, au temps des premiers dino saures. Des fossiles apparentés ont ainsi été re trouvés en Europe, Asie, Afrique et Amérique du Nord. Ancêtres des salamandres mais aussi des tritons et des grenouilles, ces prédateurs à l’impressionnante mâchoire (des centaines de dents aiguisées) ont pour la plupart disparu il y a 201 millions d’années. p RENDEZVOUS | SCIENCE & MÉDECINE | 0123 Mercredi 25 mars 2015 |7 «Maman, on mange quoi ce soir ? –Moi» zoologie nathaniel herzberg L STÉPHANE REMAEL POUR « LE MONDE » ClaireCompagnon, militante pourlesdroitsdespatients | L’opiniâtre représentantedes usagers del’hôpital depuis 1996 sevoitnomméeaujourd’huiinspectricedesaffairessocialesparlegouvernement portrait C’ pascale santi est une première. Claire Compagnon, combattante du droit des malades, a été nommée à l’Inspection gé nérale des affaires sociales (IGAS), le 4 mars, en con seil des ministres. C’est la première fois qu’une représentante des usagers intègre cette institution. Aujourd’hui conseillère en politiques de santé, représentante des usa gers à l’Hôpital européen GeorgesPompidou (HEGP), Claire Compagnon, qui siège dans de nombreuses instances pour y représenter les patients, a un profil atypique au regard de l’univers plutôt feutré de l’IGAS, chargée du contrôle des institutions publiques de santé. «C’est une victoire, c’est la cause des patients qui est reconnue», se félicite le docteur Véro nique Fournier, directrice du centre d’éthi que clinique de l’hôpital Cochin. Claire Compagnon, qui prendra ses fonc tions le 30 mars, est au cœur de la lutte pour faire avancer le droit des malades en France. Ce n’est pas un hasard si la ministre de la santé, Marisol Touraine, lui avait demandé un rapport, qu’elle a rendu début 2014, inti tulé «Pour l’an II de la démocratie sanitaire». L’an I étant pour elle la loi du 4 mars 2002, qui a permis de reconnaître des droits aux mala des. Dans cet opus de 250 pages, Claire Com pagnon a livré une série de recommanda tions pour faire avancer le statut des patients, afin, notamment, qu’ils soient davantage re présentés dans les instances de décision. La future loi de santé, actuellement discutée au Parlement, reprend quelquesunes de ses re commandations, mais la nouvelle inspec trice regrette que la question sur le statut des usagers ne figure pas dans le projet de loi. Depuis des années, cette femme dynami que se bat pour que les usagers jouent un rôle dans le système de santé. Juriste de for mation, elle s’est rapidement spécialisée dans les questions sanitaires. Son histoire fa miliale est marquée par une mère malade, alors qu’elle n’était qu’une enfant, et par le secret ayant entouré cette maladie. «Cela a sûrement conditionné mon obsession de re mettre de la parole alors que j’en ai beaucoup manqué», confietelle. A la fin de ses études de droit, on lui propose de s’occuper de la protection de l’enfance dans les Yvelines, dans le secteur de Trappes. «J’ai commencé à traiter du rapport des usagers avec l’administration et les professions médico sociales, finalement tout ce qui allait jalonner ma carrière», relate Claire Compagnon. Mais elle s’ennuie vite, et c’est le grand tournant: elle rejoint l’association Aides au début des années 1990. L’épidémie de sida était alors ex trêmement violente. Malgré la mort, la dou leur, ces années restent pour elle «une expé rience inoubliable, un engagement profond», car «c’était un vrai lieu de pensée, un endroit où on réfléchissait collectivement». Elle rejoint ensuite la Ligue contre le cancer en tant que directrice du développement. Choquée de n’entendre parler que des cancé rologues, des médecins, elle veut donner la parole aux malades, et organise en 1998 les premiers « états généraux des malades du cancer». Des patients, des proches, y racon tent le séisme de l’annonce, la vie avec la ma ladie, la relation aux soignants, le manque d’information, d’accompagnement. « Il y avait un sentiment d’exaltation, celui de faire émerger quelque chose qui n’existait pas, ex plique Véronique Fournier, qui a fait équipe avec Claire Compagnon lors des états géné raux de la santé en 2002. Claire a été le té moin, l’instigatrice et l’actrice majeure pour cristalliser ce mouvement.» En 2009, elle a remis aux autorités concernées un rapport sur « la maltraitance ordinaire dans les établissements de santé » Cet événement fera date. Suivront les états généraux de la santé qui aboutiront à la loi de 2002 sur les droits des malades, dite loi Kouchner. Puis d’autres états généraux et des plans cancer successifs. Dans le même temps, le mouvement associatif de patients se construit. Le Collectif interassociatif sur la santé (CISS) avait été créé en 1996. «Ces mou vements permettent de faire émerger des di mensions autres que la maladie et son traite ment, autour de la douleur, de la nutrition, des relations avec les proches, de l’environnement économique», assure Claire Compagnon. Petit à petit, ne lâchant rien, elle fait bouger les lignes. D’une belle voix douce mais ferme et juste, «elle ne s’en laisse pas compter», dit le docteur Fournier. «C’est une militante, en gagée dans la défense du droit des patients, avec passion, compétence et intransigeance», estime Thomas Sannié, président de l’Asso ciation française des hémophiles. «Lorsque je présidais le comité consultatif médical de l’HEGP, elle m’a appris beaucoup de choses sur une vision moderne du droit des usagers. Pas seulement comme protecteurs du droit mais aussi pour améliorer le fonctionnement de l’hôpital », explique JeanYves Fagon, qui exerce toujours dans cet établissement. Certes, les droits des patients se sont amé liorés, mais l’hôpital peut à certains mo ments être un lieu maltraitant. Claire Compa gnon connaît ce sujet. Elle a réalisé en 2009 une étude pour la Haute Autorité de santé sur «la maltraitance ordinaire dans les établisse ments de santé», où le pire côtoie parfois le meilleur. Elle a aussi publié avec Thomas Sannié, en 2012, L’Hôpital, un monde sans pi tié (éd. L’Editeur), qui rapporte des témoigna ges effroyables, comme ceux de ces patients sommés de «faire dans leur couche». Elle relate aussi des appels de patients de puis les urgences du HEGP, où elle représente les usagers depuis 1996. Ne sachant plus à qui s’adresser, ils ont vu sur un mur son nu méro de portable. «Ils sont là depuis plusieurs heures, ont l’impression que rien n’avance, qu’on ne leur dit rien, sont totalement réifiés, ils ne comprennent pas pourquoi on les traite si mal. » Certes, « cela n’arrive pas souvent, commentetelle, mais à certains moments, on se demande comment l’hôpital peut être aussi peu attentif à ses usagers. Quand vous êtes à l’hôpital, vous êtes parfois devant des portes fermées». Elle a ellemême beaucoup côtoyé les hôpi taux aux côtés de sa fille, qui a 19 ans aujourd’hui. «J’ai vu ma fille malade, j’avais toutes les clés, mais même quand on est bien in formé, on se sent dans ces momentslà totale ment isolé, perdu.» Cette mère de deux enfants n’en dira pas plus sur cette épreuve, menée de front avec sa vie professionnelle intense. La parole, donnée ou retenue, encore et toujours, elle y est très attentive, très respec tueuse de ses interlocuteurs, dit Thomas Sannié. «C’est ma façon d’avoir été résiliente», ditelle. Car la parole peut aussi être dévasta trice. Elle cite Camus, sans aucune préten tion : « Mal nommer les choses aggrave les malheurs du monde.» «Son combat n’a pas toujours été facile, car le pouvoir n’est pas de notre côté, constate le docteur Fournier. Parce qu’on est des femmes. Et parce qu’on parle des patients.» p e dévouement maternel n’a pas de li mites, c’est bien connu. Mais Stegody phus lineatus, une araignée d’un peu plus de 1 cm qui peuple les régions dé sertiques allant du pourtour méditerranéen au Pakistan, pousse loin le sens du sacrifice. Pendant deux semaines, elle nourrit ses nou veaunés avec des sucs qu’elle régurgite. Puis elle achève le processus en offrant son corps à sa progéniture, qui ne laisse d’elle qu’un sque lette desséché. Le phénomène a été découvert dans les années 1970. Mais dans le numéro d’avril du Journal of Arachnology, une équipe israélienne décrit pour la première fois le lent processus de transformation des tissus au terme duquel la mère devient… comestible. Pour cela, les scientifiques ont «sacrifié» quelques individus, sélectionnés aux diffé rents stades de la reproduction. Et observé comment le corps changeait peu à peu de nature. Tout commence pendant l’incuba tion. Certaines parties de l’intestin s’assom brissent. Les tissus se dégradent. A l’éclosion, on observe un ramollissement sensible de l’abdomen. La mère a donc déjà commencé à payer de sa personne. C’est que, dès la ponte, l’araignée a cessé de s’alimenter. Une fois les œufs éclos, elle puise dans ses réserves pour produire et régurgiter le suc que les petits viennent aspi rer dans sa bouche. Les chercheurs ont pu constater qu’à cet instant le processus est en core réversible. En effet, s’il arrive malheur à la couvée, et dans ce cas seulement, la mère peut pondre une seconde fois, les ovaires, notam ment, étant demeurés intacts. Sinon, le processus d’alimentation des petits et de dégradation progressive du corps se poursuit. Au cours de cette phase de deux se maines, l’araignée perd 45 % de son poids. Autant dire que c’est un animal épuisé, sinon tout à fait exsangue, et dont la plupart des muscles, tissus et organes – à l’exception no table du cœur – se sont liquéfiés, qui s’effon dre au terme de cette période. MOR SALOMON Effondré mais vivant. La scène finale, l’ul time repas «familial», peut alors commencer. Qui invite la fratrie à table? «Pour le moment nous l’ignorons, explique l’entomologiste Mor Salomon, première signataire de l’article. Chez Amaurobius ferox, une autre espèce matri phage, nous avons retrouvé un signal, une vi bration émise par la mère sur la toile, que les petits perçoivent. Mais chez Stegodyphus lineatus, rien pour le moment.» En tout cas, les rejetons ont compris. L’abdo men est à présent tout mou, aisé à percer. Et particulièrement riche en nutriment et pro téines. Tour à tour, les quelque 80 petits que compte la couvée prennent part au festin, as pirant tout ce qu’ils trouvent, jusqu’aux car tilages des pattes. Deux à trois heures plus tard, ils abandonnent un squelette, «un ballon vide», selon Mor Salomon, qui ne pèse plus que 5% du poids initial. Pendant deux semai nes encore, ils resteront au nid, repus. Puis quitteront le foyer pour partir à l’assaut d’autres proies. Même si le sacrifice maternel a été observé chez une espèce de pinceoreilles, les arai gnées dominent cette pratique puisque une dizaine d’espèces matriphages ont déjà été ré pertoriées, dont toutes celles de la famille de Stegodyphus lineatus: les Erisidae. L’imagina tion y a pris le pouvoir. Ainsi cette espèce cou sine, Stegodyphus dumicola, où, non contents de dévorer leur génitrice, les petits y adjoi gnent des individus adultes sacrifiés par la collectivité pour perpétuer l’espèce. Ou cette autre chez qui la mère pond deux couvées, la seconde alimentant, au sens propre, la pre mière. Décidément, rien n’est trop bon pour nourrir ses enfants. p 8| 0123 Mercredi 25 mars 2015 | SCIENCE & MÉDECINE | L’impression 3D encore plus rapide La fabrication additive, ou impression 3D, est très à la mode non seulement pour les professionnels mais aussi auprès du grand public. Les premiers peuvent ainsi fabriquer des prototypes ou des maquettes tridimensionnels pour l’architecture, le design, l’industrie, la médecine… Quant aux béotiens, ils peuvent commander toute sorte d’objets comme des figurines, des bijoux, des pièces de rechange, etc., ou les fabriquer euxmêmes (voire fabriquer l’imprimante !). Mais les procédés sont assez lents. La start up américaine Carbon3D vient de dévoiler un procédé «25 à 100fois plus rapide selon la précision voulue» que ses concurrents. Soit de l’ordre de la dizaine de centimètres par heure pour un dixième de millimètre de précision. Une tour Eiffel de 10 cm jaillit ainsi en une heure. La recette a été publiée en avance par Science le 16 mars, pour coller à une conférence TED au Canada donnée par le directeur de Carbon 3D. La technique utilisée appartient à la famille de la stéréolithographie, qui consiste à durcir de la résine en la polymérisant par un éclairage ultraviolet. Le nouveau procédé est plus rapide, car il fonctionne en continu et ne nécessite pas, comme pour les concurrents, d’être interrompu régulièrement pour réintroduire de la résine liquide. La plupart des imprimantes 3D grand public reposent sur un principe différent, l’ajout couche par couche de plastique fondu. p david larousserie Support Objet en résine solidifiée Le procédé grand public Résine durcie Bain de résine liquide Fine épaisseur de résine toujours liquide Vitre perméable à l'oxygène Du plastique fondu est déposé couche par couche par l’intermédiaire d’une « tête » de lecture. Soit la tête se déplace, soit c’est le support. Selon le site communautaire spécialisé 3D Hubs, les fabricants RepRap (Prusa i3) et Makerbot (Replicator) dominent ce marché grand public couvert par plus de 300 modèles. Projecteur à UV Fil en plastique Tête extrudeuse 10 à 50 cm par heure Le nouveau procédé Le durcissement est dû à une réaction de polymérisation induite par la lumière ultraviolette. L’oxygène a tendance à inhiber cette réaction. Un matériau perméable à l’oxygène assure le maintien d’une résine liquide au fond du bac ; au-dessus de cette couche, l’oxygène est consommé et n’interdit donc pas la polymérisation. Une couche devient dure. Chaleur Pièce en cours de fabrication Support SOURCE : TUMBELSTON ET AL., SCIENCE, 16 MARS INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER Pour le professeur de psychologie KarimJerbi,les règles debonne conduite sont trop souvent malétablies ou pas suffisamment maîtrisées partous les intervenants dela rechercheen neurosciences Mauvaises manipulations etautres« bêtises» | «F aites des bêtises, mais faitesles avec enthousiasme. » A cette ci tation de Colette que j’affec tionne particulièrement, je ra jouterai qu’en sciences il faut tout de même bien choisir ses bêtises ! Les manipulations de résultats en recher che clinique régulièrement dénoncées ces dernières années dans la presse biomédicale internationale relèvent plus de la fraude que de la bêtise, même si l’enthousiasme y était sans doute bien présent. Pourtant les mauvaises manipulations ordinaires existent. Prenons l’exemple de domaines qui me sont familiers : les neurosciences cognitives, la neuroimagerie ou encore la neuroingénierie. Des études récentes pointent du doigt le manque de fia bilité, allant dans certains cas jusqu’à la défaillance de la méthodologie et des résultats publiés. Une étude de la revue Nature Reviews in Neuroscience (Button et al., 2013) révèle que la majorité des résul tats publiés en neurosciences ne seraient pas fia bles, car ils ne respectent pas un critère, pourtant fondamental en recherche scientifique, celui de la reproduction des résultats. L’origine du problème est souvent la taille de l’échantillon, autrement dit un nombre de participants trop faible pour générer des résultats fiables et reproductibles (problème de puissance statistique). Ah, la statistique! Cette joyeuse et mystérieuse pas serelle entre observations expérimentales et inter prétations scientifiques. Dernière étape de la chaîne d’analyse et but ultime de toute étude scientifique, l’évaluation de la signification statistique des résul tats est le maillon faible, victime des plus belles bêti ses. Dans une étude récente publiée dans Journal of Neuroscience Methods (Combrisson et al., 2015), nous décrivons un autre exemple de mauvaise prati que statistique qui concerne plus particulièrement le domaine du décodage cérébral. Au croisement en tre neuroscience cognitive et intelligence artificielle, le principe du brain decoding repose sur l’utilisation des signaux cérébraux pour prédire ou inférer le contenu de nos processus cognitifs les plus secrets, tels que nos perceptions ou nos intentions. Comment faiton pour lire les pensées d’une per sonne uniquement en se servant de l’activité de son cerveau ? Le principe de l’apprentissage supervisé est simple : nous entraînons dans un premier temps un algorithme informatique (le classifieur) à diffé rencier les signatures cérébrales spécifiques à plu sieurs types de comportements ou d’états cognitifs, en lui présentant les signaux cérébraux associés à chaque classe. Cette phase d’entraînement est suivie tribune | par la phase de test, durant laquelle nous évaluons la performance de notre classifieur sur des signaux qu’il n’a pas vus lors de l’entraînement. Le taux de réussite obtenu par la classification sur ces données cérébrales de « test » est un pourcentage qui repré sente la précision du décodage. Le bon sens, et les vieux souvenirs de cours de pro babilités, voudrait qu’on dise qu’un bon décodage est un décodage qui dépasse le niveau de la chance. Ainsi, pour classifier deux états cognitifs, par exem ple l’intention d’une personne de bouger sa main droite ou la gauche, nous sommes face à un pro blème à deux classes. Un classifieur qui n’aura rien appris aura une performance parfaitement aléa toire : il se trompera une fois sur deux. Le seuil de chance qu’une bonne classification doit dépasser est donc 50 %. En théorie. Car ces niveaux de chan ces (50 % pour un problème à 2 classes, ou 25 % pour 4 classes) n’ont un sens qu’en présence d’un grand nombre d’échantillons. « Dernière étape de la chaîne d’analyse et but ultime de toute étude scientifique, l’évaluation de la signification statistique des résultats est le maillon faible, victime des plus belles bêtises » Faites l’expérience vousmême. Jouez à pile ou face en lançant une pièce dix fois de suite. Théori quement, le seuil de chance vous prédit d’avoir pile 5 fois sur 10 (soit 50 %), mais vous ne seriez pas étonné si vous obteniez pile 7 fois sur 10 (soit 70 %). Estce pour autant une indication que votre pièce est truquée ? Bien sûr que non. Il s’agit là d’un phé nomène bien connu, celui des faibles tailles d’échantillons. Si vous organisez un énorme lancer de pièces simultané avec 1 million de participants partout dans le monde, tous connectés sur Internet, le pourcentage des lancers ayant donné pile s’appro chera cette fois beaucoup plus du seuil attendu de 50 %. Le seuil de chance varie en fonction du nom bre d’échantillons, et les seuils théoriques ne sont valables que pour un nombre infini d’échantillons. Cette observation est bien entendu connue et bien prise en compte dans le domaine de l’apprentissage statistique. En revanche, et c’est tout l’enjeu de notre étude ré cente, de nouveaux domaines de recherche multi disciplinaire empruntent aujourd’hui des méthodes issues de l’intelligence artificielle (comme l’appren tissage supervisé). Quelquefois sans connaissance approfondie des limitations et des règles de bonne conduite méthodologique associées. C’est le cas par fois des recherches sur le décodage cérébral et, plus largement, les interfaces cerveaumachine. Nous avons ainsi montré, à l’aide de simulations numériques et d’enregistrements de l’activité céré brale, qu’il est possible d’atteindre des taux de clas sification de 80 % ou plus, sans qu’il y ait en réalité de différence entre les classes ! Ces résultats, et le rappel de la bonne conduite sta tistique qui permet d’éviter des interprétations er ronées, agitent un drapeau rouge. En particulier, je pense que les méthodes de décodage neuronal qui s’appuient sur l’entraînement d’un algorithme de classification sur une partie des données et l’évalua tion de sa performance sur le reste des données (par exemple, la validation croisée) peuvent créer chez les étudiants ou chercheurs fraîchement embar qués sur une étude de décodage cérébral l’impres sion d’avoir affaire à un outil qui leur permet de s’af franchir d’une évaluation statistique rigoureuse. Il s’agit là, bien sûr, d’une bêtise qu’il vaudrait mieux éviter avec enthousiasme ! La croissance exponentielle de la quantité et la complexité des données auxquelles nous faisons face aujourd’hui en neurosciences, en neuroimage rie et en recherche clinique rendent inévitable le rap prochement avec le domaine de l’intelligence artifi cielle. Mais on voit bien le problème : c’est typique ment dans ces nouveaux croisements entre champs de recherches qu’émergent aussi des zones grises, où les règles de bonne conduite sont soit mal établies, soit pas suffisamment maîtrisées par tous les inter venants. Je suis convaincu que, pour bien profiter de l’apport de la fertilisation croisée entre disciplines de recherche, une rigueur supplémentaire est deman dée afin, au bout du compte, de nous assurer d’ac croître nos connaissances au lieu de les polluer par des observations erronées ou, pis encore, soulever de faux espoirs chez des populations de patients. Comme dans tout domaine de recherche haute ment spécialisé, le contrôle de l’intégrité et de la va lidité des méthodes utilisées en recherche neuro scientifique ne peut venir que de l’intérieur. Il en va donc de notre responsabilité, nous les chercheurs, visàvis de la société et de nousmêmes. p ¶ Karim Jerbi est professeur au département de psychologie de l’université de Montréal. Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre ouverte au monde de la recherche. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
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