Séquence : Femme en poésie Objet d’étude : la poésie Textes complémentaires Texte 1 : Bernard de Ventadour né vers 1145, mort après 1195, « Ce n’est merveille » Ce n'est merveille si je chante Mieux que tous les autres troubadours, Mon cœur va plus fort vers l'amour Et je suis mieux fait à ses ordres. 5 Cœur et corps et savoir et sens, Force et pouvoir lui ai donné, Que je ne m’applique à rien d’autre. Bien est mort qui d’amour ne sent Au cœur quelque douce saveur ; 10 À quoi sert vivre sans Valeur, Sinon à ennuyer les gens. Que Dieu ne me haïsse au point De me faire vivre un jour, un mois, Après être devenu fâcheux 15 Et n’avoir plus désir d'amour. De bonne foi, sans tromperie, J’aime la plus belle et meilleure : Mon cœur soupire, mes yeux pleurent De trop l’aimer pour mon malheur. 20 Mais qu’y puis-je, si l’Amour m’a pris, Si la prison où il m’a mis A pour seule clé la merci Qu’en elle je ne trouve point? Cet amour me blesse le cœur 25 D’une saveur si gente et douce Que si, cent fois par jour, je meurs Cent fois la joie me ressuscite. C’est un mal de si beau semblant Que je le préfère à tout bien; 30 Et puisque le mal m’est si doux Quel bien pour moi après la peine! Ah Dieu! Que ne distingue-t-on D’entre les faux les vrais amants ? Tous ces flatteurs et ces perfides, 35 Que ne portent-ils corne au front ? Je donnerais tout l’or du monde Et tout l’argent – si je l’avais – Pour que ma dame sût combien Je l’adore fidèlement. Texte 2 : Ronsard, « Quand vous serez bien vieille », Sonnets pour Hélène, 1578. Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle, Assise auprès du feu, dévidant et filant, Direz chantant mes vers, en vous émerveillant : « Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle. » 5 Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle, Déjà sous le labeur à demi sommeillant, Qui au bruit de « Ronsard » ne s’aille réveillant, Bénissant votre nom, de louange immortelle. Je serai sous la terre et fantôme sans os ; 10 Par les ombres Myrteux je prendrai mon repos ; Vous serez au foyer une vieille accroupie, Regrettant mon amour, et votre fier dédain. Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain ; Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. Texte 3 : Baudelaire, « Le serpent qui danse », Les Fleurs du mal, 1859. Le serpent qui danse Que j'aime voir, chère indolente, De ton corps si beau, Comme une étoffe vacillante, Miroiter la peau ! 5 Sur ta chevelure profonde Aux acres parfums, Mer odorante et vagabonde Aux flots bleus et bruns, Comme un navire qui s'éveille 10 Au vent du matin, Mon âme rêveuse appareille Pour un ciel lointain. Tes yeux où rien ne se révèle De doux ni d'amer, 15 Sont deux bijoux froids où se mêlent L’or avec le fer. A te voir marcher en cadence, Belle d'abandon, On dirait un serpent qui danse 20 Au bout d'un bâton. Sous le fardeau de ta paresse Ta tête d'enfant Se balance avec la mollesse D’un jeune éléphant, 25 Et ton corps se penche et s'allonge Comme un fin vaisseau Qui roule bord sur bord et plonge Ses vergues dans l'eau. Comme un flot grossi par la fonte 30 Des glaciers grondants, Quand l'eau de ta bouche remonte Au bord de tes dents, Je crois boire un vin de bohême, Amer et vainqueur, 35 Un ciel liquide qui parsème D’étoiles mon cœur !
© Copyright 2024